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habitants, et Barbara n’eut aucune influence sur sa décision. Murat avait successivement envisagé comme point de débarquement : Granatello, Pozzuoli, Cedraro, Paola ; il était arrivé aux environs du Pizzo que nul n’avait recherché ; il avait constaté la défection de Courraud : et, d’une résolution salutaire, il avait tourné brusquement à la plus hasardeuse, parce qu’elle lui avait semblé héroïque, parce qu’on n’avait pas obéi instantanément à ses ordres, parce qu’il agissait en enfant. Comment eût-on dressé un guet-apens ; comment eût-on tendu un piège à cet endroit même que nul n’eût pu désigner la veille ? Personne n’a accusé Courraud d’avoir été vendu. Il a déserté une tâche qu’il a jugée trop lourde ; de même Ettore qui s’est laissé convaincre par Courraud, mais le départ de Courraud ne pouvait avoir aucune influence sur la décision qu’a prise le Roi, au contraire. Si quelqu’un y a contribué, c’est Franceschetti : mais encore ? En réalité, il n’y avait autour de Murat que des inférieurs, incapables de lui résister, et trop peu habitués avec lui, pour qu’il comptât leur avis. Le seul qui témoigna une opposition décidée fut le valet de chambre Charles : « Ne débarquez pas. Sire, dit-il, si vous débarquez, vous êtes perdu. » Il ajouta : « Vous n’avez jamais voulu écouter vos fidèles serviteurs. » Mais pour empêcher un tel acte de démence, c’était trop peu qu’un vieux domestique, si familier fût-il.

Murat ordonna que l’on prît l’uniforme ; il trouva mauvais que Natali gardât des vêtements bourgeois, n’en ayant point de militaires. Lui-même revêtit un habit bleu avec épaulettes d’or de colonel, passa sur ses bottes un pantalon de nankin, se coiffa d’un chapeau à trois cornes à glands de soie noire que décorait une cocarde de vingt-deux gros brillants, et s’arma d’un sabre et de deux pistolets. Il ordonna à Charles de faire les préparatifs nécessaires pour le suivre avec les bagages à Monteleone, et il enjoignit à Barbara de se tenir pendant une heure à portée de fusil du rivage, puis de se diriger vers une madrague à proximité du point de débarquement pour y attendre les événements.

Le vent poussait vers la plage. Le Roi voulut prendre pied le premier sur la terre napolitaine. Il fut suivi par sa troupe : trente hommes. Savoir : neuf officiers, neuf sous-officiers, neuf soldats, trois domestiques. On avait vainement cherché un