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Besson pleurant un ami s’en allait dans les escouades, réunissant dans le même deuil le régiment tout entier . Le lendemain, l’ordre d’attaquer trouva tout le monde préparé. Ce fut prompt et superbe. Orvillers dégagé, l’ennemi fut délogé du bois de l’Epinette. Le zouave Bevé reconnut au passage le corps du commandant, mais il fallait marcher : il passa et le commandant fut vengé. Puis on revint à lui. Il était étendu face à l’ennemi qui ne l’avait point touché, auprès de trois autres morts. L’élan des troupes était une dernière fois son œuvre. Sans paroles il les avait commandées. N’était-ce point sa manière, et ne suffisait-il pas de son visage intact ?

Le soir de ce jour de Pâques, le colonel Derigoin, commandant la brigade et le secteur, et le lieutenant-colonel Besson, commandant le 4e zouaves, étaient réunis au château de Sorel, proche Orvillers, un château de briques rouges, massif, atteint par les obus, comme un vaisseau qui fait eau de toutes parts, adossé aux bois. Un zouave entra dans le poste et présenta au lieutenant-colonel Besson un petit sac de terre, de ceux qui servent à élever les parapets des tranchées :

— J’ai mis là-dedans, dit-il, les reliques du commandant.

Le mot : reliques, lui était venu spontanément aux lèvres. Un témoin qui fut le confident et l’ami du commandant, m’a raconté la scène le lendemain ou le surlendemain. Celle qui suivit ne fut pas d’un caractère différent. Une voiture d’ambulance stoppait devant la porte. Le corps du commandant y était déposé sur un brancard. Les deux colonels sortirent pour voir une dernière fois le compagnon de leurs travaux, de leurs espérances, de leurs épreuves et de leurs victoires. La nuit était venue et la bataille ne cessait pas. C’était, alentour, un grondement incessant d’artillerie. Des fusées rayaient le ciel noir. Les éclairs des batteries étaient comme la respiration haletante de l’horizon. Cependant la vue de ce grand mort, à la lueur des petites lampes électriques, laissait une impression de douceur et de paix. Il rappelait dans son immobilité ces chevaliers sculptés dans la pierre au portail des cathédrales. Son visage poli n’avait aucune des contractions que laisse la souffrance. Une sérénité infinie le recouvrait, non pas insensible déjà, mais comme vivante encore, l’rappé surtout aux jambes, dont l’une était entièrement broyée, la main gauche mutilée pendant le long de la hanche, il esquissait de la droite