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un signe qui lui était habituel au danger, — celui de la Croix, — car, disait-il, il voulait mourir en chrétien.. La mort l’avait figé dans le geste qui prie.

— Besson, dit à voix basse le colonel Derigoin, qui est un dur guerrier, embrassons-le.

Les deux chefs touchèrent de leurs lèvres le front de leur camarade et la voiture d’ambulance s’enfonça dans les ténèbres..


Plus à l’Est, au Rollot, à Grivesnes, à Moreuil, la grande offensive allemande du 30 mars a été contenue ou brisée. L’armée Humbert et l’armée Debeney ont barré les routes de Paris et d’Amiens. Et la prophétie du général Fayolle, le jour du Vendredi Saint, s’est réalisée : la France a pu chanter l’Alléluia le jour de Pâques.


XIV. — LE CHAMP DE BATAILLE

Envoyé en mission à la 77e division les premiers jours d’avril, j’ai rendu visite au Plessis-de-Roye et au Plémont encore tout chauds et tout retentissants de la bataille. Le matériel épars, les cadavres jonchés eussent permis à eux seuls de jalonner l’opération et d’en rétablir les phases. Mais les acteurs étaient là, ou dans le voisinage, selon les relèves. C’est une belle vision que celle d’une troupe victorieuse. Au premier abord elle semble indifférente et sa propre gloire ne la touche pas. Parlez-lui du Boche : les visages s’illuminent d’un sourire. Parlez-lui de la terre : la fierté d’en avoir gardé une parcelle de choix donne à ces visages une expression grave et réfléchie, de noblesse tendre.

D’Elincourt-Sainte-Marguerite où est le quartier général de la division, nous prenons la route du Plessis. Le capitaine Humbert, un ancien du 97e, nous servira de guide. Nous quittons la route pour entrer dans le parc par une brèche. Il fait un temps favorable : le vent est aigre encore, les jeux de nuages cachent souvent le soleil. Mais ces jeux mêmes s’harmonisent aux paysages délicats de l’Ile-de-France et les vues sont bonnes. Dans le parc, les taillis s’égouttent. Le sol boueux est par endroits pareil à un marécage. Voici que les bois s’ouvrent devant les pelouses qui conduisent au château.