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de Villers-Cotterets qui, jadis, respecta pieusement l’ignorance de son élève : parce que celui-ci parvint à l’âge d’homme sans avoir pâli sur des manuels fastidieux, nomenclatures de noms et de dates, qui l’eussent, dès l’enfance, comme tant et tant d’autres, à tout jamais rebuté, son esprit vierge discerna pleinement la grandeur et la beauté des merveilleuses mêlées qu’il entrevoyait, et en garda, pour notre grande joie, la passion et l’éblouissement.

Mais Dumas ne se contente pas de lire, il veut voir, il veut vivre ces scènes héroïques dont les récits l’ont enchanté ; aussitôt il se met en roule : il va parcourir, en touriste, le Midi de la France, l’Italie, la Sicile et découvrir, après l’histoire, la Méditerranée. Plus tard il passe en Espagne où il est convié au mariage de l’Infante, puis en Algérie que le ministre l’invite à visiter, « afin de faire connaître ce pays à la France ; » l’État a mis une corvette à son service. Entre temps, il publie quarante romans, disperse un nombre inconnu de chroniques, fait représenter vingt pièces de théâtre. Il est partout à la fois : on le croit à Naples, on le rencontre au foyer du Vaudeville ; on reçoit de lui une lettre datée d’Alger, et, le lendemain, on l’entend plaider un procès devant la première chambre du tribunal civil. En province, on se groupe à l’arrivée de la malle-poste de Paris et on se bat à la distribution des journaux apportant la suite d’un de ces feuilletons qui tiennent en suspens, durant des mois, l’émotion haletante des lecteurs. Nulle renommée populaire n’égale celle de l’écrivain qui a créé les Mousquetaires et Monte-Cristo dont le monde entier a suivi les péripéties. Villemessant raconte, dans ses Souvenirs, que, de 1840 à 1865, tout organisateur de fête de bienfaisance, soucieux d’une belle recette, doit avant toute autre vedette, s’assurer de la présence d’Alexandre Dumas. Le programme importe peu, Dumas sera là : le salle se remplit. On l’annonce et voilà l’assistance entière debout sur les banquettes, tous les regards tournés vers la porte, les cous tendus, les bouches béantes. Il apparait, souriant, bon enfant, disant bonsoir, serrant les mains, s’amusant de tout, indulgent pour tous, content d’être adulé, mais le laissant voir, franchise rare qui n’implique ni morgue ni suffisance. Et l’on s’en va ravi, colportant un mot qu’il a dit, un de ces mots dont Paris rira durant huit jours. Il porte, partout où il va, une atmosphère d’entrain et de mouvement