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détail l’inquiète : il enseignera bien l’histoire à ses lecteurs tout en l’apprenant lui-même ; encore faut-il l’apprendre : comment se documenter ? Que lire ? Où s’adresser pour être renseigné ? L’histoire de France, qui connaît ça ? Heureusement il se souvient que, étant enfant, son abbé de Villers-Cotterets lui a mis entre les mains une Histoire de France en vers, par demandes et par réponses, qu’il s’est bien gardé d’étudier, certes, mais dont il se rappelle le nom de l’auteur : c’est l’œuvre d’un certain abbé Gauthier « revue et corrigée par M. de Moyencourt. » Il se procure le précieux volume et s’y plonge avec émerveillement, travaillant sans désemparer et prenant le plus sérieusement du monde des notes savantes, comme le doivent faire les paléographes aux prises avec les chartes authentiques. Il lui est révélé ainsi que


Pharamond fut, dit-on, le premier de ces rois
Que les Francs, dans la Gaule, ont mis sur le pavois,


et aussi que


Clodion prend Cambrai ; puis règne Mérovée ;
De la fureur des Huns Lutèce est préservée…


Cela se poursuit jusqu’à la révolution de 1830, époque où


Philippe d’Orléans, tiré de son palais,
Succède à Charles dix par le vœu des Français.


Déjà la fougueuse et téméraire imagination de l’écolier-historien entrevoit tout le parti qu’il tirera de cette documentation : et il ne faudrait point jurer qu’elle n’eut été pour lui suffisante ; mais un ami, mieux averti, le surprend dans ce labeur enfantin, s’étonne, lui conseille d’avoir, de préférence, recours aux sources, de consulter Jornandès, Sidoine Apollinaire, Grégoire de Tours, puis, pour les époques postérieures, Eginhard, l’archevêque Turpin, Guillaume de Nangis, Pierre d’Orgemont, Juvénal des Ursins, Joinville, l’Estoile, Brantôme, Tallemant des Réaux… Dumas, que rien n’épouvante, adopte ce sage avis : un monde insoupçonné se dresse devant lui : il s’y jette à corps perdu, extasié de ce qu’il aperçoit, rayonnant de ce qu’il découvre, sans plan, sans but défini, sans méthode, rien que pour le bonheur de vivre avec des fantômes et de ressusciter des morts… Bénissons le bon instituteur