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en souffrions pour lui. Ç’a été le tort de ce régime, de laisser trop souvent inutilisées des forces qui eussent travaillé utilement pour le pays. Un Etienne Lamy aurait dû avoir une largo part aux affaires de l’Etat. Le suffrage universel le lui interdit. Ce fut une de ses erreurs : elle se remarque entre tant d’autres qu’il a commises. De par son verdict, cette vive intelligence, les facultés si diverses de cette riche nature turent perdues pour la vie publique.

Sachons gré à la grande Revue catholique, le Correspondant, de l’avoir appelé à elle, en dépit de certaines divergences d’opinion auxquelles elle sut ne pas s’arrêter. Il y succédait à Léon Lavedan, qui fut un admirable directeur, resté célèbre et quasiment légendaire pour son activité débordante et impérieuse, sa passion de l’actualité, et l’exubérance de vie qu’il imprimait à son recueil. Je le dis, pour avoir vu à l’œuvre ce maître journaliste. Etienne Lamy eut sa manière, très personnelle, plus discrète, non moins féconde. Toutefois, il ne s’attarda pas dans cet absorbant labeur, se rendant compte que, pour le mener à bonne lin, il faut s’y consacrer entièrement. Sollicité par des questions qu’il jugeait vitales pour la patrie, il voulait continuer à les étudier et à en écrire. Il donna sa mesure, exerça l’essentiel de son action, puis, en toute confiance, remit le gouvernail entre les mains expertes et sûres de M. Edouard Trogan.

Peu de temps après, il fut nommé au secrétariat perpétuel de l’Académie française. Fonctions délicates, qui demandent surtout de la souplesse et du tact, et où chacun de ceux qui s’y succèdent apporte des qualités différentes : on sait que la Compagnie a du goût pour les contrastes dont le piquant la réjouit. Je n’ai pas connu Camille Doucet, mais j’ai retrouvé son souvenir très présent parmi les plus anciens de nos confrères : il gouvernait par la diplomatie, où sa finesse et sa pénétration spirituelle faisaient merveille. En revanche, j’ai beaucoup pratiqué Gaston Boissier, qui fut mon maître à l’Ecole normale. Sa grande force était dans sa belle humeur. Nulle difficulté ne résistait à sa verve et a son emportement cordial. Et il fallait le voir aux séances solennelles : sa joie de vivre, et d’être là, et précisément à cette place, éclatait sur son visage épanoui qui faisait centre et lumière dans la salle. Puis ce fut la haute figure de Thureau-Dangin, sa grande manière empreinte de