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le Songe d’une nuit d’été, il y a un « hommage rendu à Elisabeth, » qui, « venant d’un acteur tel que Shakspeare, eût été d’une audace absolument invraisemblable, sous la forme où nous le rencontrons. » Venant du comte de Derby, c’est à merveille : mais, si le comte de Derby signe « Shakspeare, » l’hommage reste invraisemblablement audacieux.

Ou bien il faut admettre que « Shakspeare » était, pour le noble comte, un « pseudonyme, » — ainsi que M. Lefranc ledit une fois, — et un pseudonyme auquel personne, à la cour et dans le public, ne se trompait. Et alors, vous qui ne concevez pas qu’on ait si peu de renseignements relatifs à William Shakspeare, auteur d’un si prodigieux théâtre, et qui partez de là pour refuser à William Shakspeare son théâtre, comment imaginez-vous que William Stanley soit resté dans l’ombre ? Tout le monde le savait l’auteur de ce théâtre : et personne ne l’a dit ! On n’a pas dit grand’chose de Shakspeare ; mais on a dit au moins qu’il était l’auteur de son théâtre : de William Stanley, rien.

Rien ? réplique M. Lefranc. « D’une lettre qui fait partie des papiers d’État de la reine Elisabeth, nous apprenons que le comte de Derby était, en juin 1599, uniquement occupé à écrire des pièces pour des comédiens professionnels. » Le 30 juin 1599, un certain George Fenner écrivait, à peu près la même chose à deux amis. George Fenner était un agent politique ; les catholiques anglais fomentaient un complot, cherchaient soigneusement des affidés, comptaient un peu sur le sixième comte de Derby : impossible, car le sixième comte de Derby ne s’occupe que de théâtre. Voilà ce qu’a trouvé M. Lefranc pour démontrer que William Stanley est l’auteur du théâtre shakspearien. Ce n’est pas rien du tout : c’est, en quelque manière, un témoignage. Mais, en faveur de Shakspeare, les témoignages sont meilleurs : ils lui attribuent les pièces dites de Shakspeare. Quant au comte de Derby, l’on nous apprend que, l’année 1599, pendant l’été, il écrit des pièces pour des comédiens professionnels : c’est tout ce qu’on nous apprend. Quelles pièces ? Nous ne le savons pas. Et quels comédiens ? Nous ne le savons pas davantage. Si seulement George Fenner avait eu l’obligeance d’écrire à ses deux amis : « Pour William Shakspeare et ses compagnons, » tout irait bien. Mais il n’a pas eu d’obligeance. Or, la troupe de comédiens à laquelle appartenait William Shakspeare a eu) pour patron quelque temps Ferdinando Stanley, cinquième comte de Derby, le frère ainé de William Stanley. Le 16 avril 1594, Ferdinando Stanley meurt,