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probablement empoisonné. Voire, le bruit courut que l’empoisonneur était William Stanley : et, parce que Shakspeare a peut-être chapardé une bourgeoise complaisante à son ami Burbage, vous lui refusez son théâtre ; mais, si William Stanley a peut-être empoisonné son frère, vous lui donnez le théâtre de Shakspeare ?... Toujours est-il qu’après la mort de Ferdinando, la troupe à laquelle appartenait Shakspeare passa sous le patronage de la veuve. Et puis elle passa sous le patronage de Henry Carey, lord Hunsdon. Et rien, absolument rien, ne nous invite à supposer que William Stanley ait conservé aucunes relations avec les comédiens que protégeait son frère. Tout au contraire, nous le voyons, dès le 15 septembre 1594, accorder son patronage à une autre compagnie de comédiens. Bref, les comédiens du comte de Derby, c’est une troupe à laquelle n’appartenait pas Shakspeare. Alors, quelle raison pouvons-nous avoir de supposer que les comédiens pour lesquels William Stanley se divertissait à écrire des pièces, au mois de juin 1599, c’étaient précisément Shakspeare et ses compagnons ? Quelle raison de supposer que, ces pièces de William Stanley, c’était le théâtre de Shakspeare ?

De William Stanley, que savons-nous ? Très peu de chose. Il avait voyagé. M. Lefranc veut qu’il ait séjourné à la cour de Navarre ; et M. Lefranc l’affirme et ne le prouve pas : mais il faut avoir séjourné à la cour de Navarre, en sa jeunesse, pour écrire Peines d’amour perdues. William Stanley aimait la musique : et même il a composé une pavane ; et il y a, dans le théâtre de Shakspeare, de belles choses sur la musique, etc.

L’on serait content d’imaginer que M. Lefranc, professeur au Collège de France et l’auteur de bons travaux relatifs à notre histoire littéraire, ne fût pour rien dans les deux volumes qui viennent de paraître sous le nom de M. Lefranc, comme le théâtre de William Stanley, sixième comte de Derby, parut sous le nom de Shakspeare. La même aventure, si désagréable pour William Shakspeare, serait avantageuse à M. Lefranc. Mais renonçons pareillement à l’une et l’autre hypothèses : les deux signatures, l’une qui étonne M. Lefranc, l’autre qui nous chagrine, ont tous les caractères de l’authenticité.


ANDRE BEAUNIER.