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Au sortir de Noyon, les terres sont ensemencées : voici le vert tendre du blé qui lève, et voici des arbres indemnes qui bientôt fleuriront. Déjà l’on est tenté de se réjouir : à partir de Babeuf, déjà endommagé, l’impression change. Toutes les maisons restées sont détruites, et bientôt des villages entiers gisent à terre éventrés. Tous les arbres fruitiers dans les vergers, tous ceux qui sont en bordure de la route, sont entaillés aux trois quarts. On n’a pas eu le temps de les abattre, mais leur sève est tarie et ils sont comme des morts debout. Les champs sont maintenant incultes. Le désert commence.

Chauny était une ville bien plus importante que Noyon : dix mille habitants au lieu de six mille, et de vastes ateliers occupant un peuple d’ouvriers. C’était la ville neuve dans le voisinage de la vieille cité, la ville industrielle enrichie par les manufactures, spécialement par la succursale des glaces de Saint-Gobain, à côté de l’ancienne ville bourgeoise et pittoresque. Chauny n’avait pas de beaux monuments à montrer aux visiteurs, comme la fameuse fontaine, l’hôtel de ville et la cathédrale de Noyon, mais elle était fière de ses deux églises, de sa mairie, de son théâtre, de ses banques, de ses rues bien construites, de ses maisons visant à l’élégance. Chauny était, car Chauny n’est plus.

Seul, le faubourg de Noyon a été respecté. Là les Allemands avaient rassemblé, entassé les habitants pendant les quinze ou vingt jours qu’ils employèrent à la destruction de tout le reste de la ville. Voici les dernières maisons vivantes : le reste n’est plus que ruines. La grande rue qui est la route de la Fère est bordée de murs écroulés. Les rues latérales sont comme des allées de cimetière. Çà et là une enseigne est restée : souvent, c’est une enseigne allemande désignant un restaurant pour les officiers, un établissement de change. Les Allemands s’étaient installés là à demeure : ils ont laissé des traces de cette installation qui se croyait définitive. Mais ce qui frappe dans cette visite, c’est une sorte d’ordonnance dans la destruction, une discipline dans la dévastation. Chauny n’est pas la ville bombardée comme Verdun ou Reims, la ville où l’on s’est battu comme Dixmude, Ypres ou Arras, Chauny est la ville assassinée.

Le meurtre méthodique a duré près de trois semaines. Les bourreaux avaient donc parqué les habitans dans le quartier