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carnet je copie ces notes où se mêlent la joie de retrouver un morceau du sol français et des compatriotes délivrés, et l’horreur devant les dévastations et les destructions systématiques d’un ennemi acharné jusqu’à scier les arbres :


19-20-21 mars 1917.

Le n mars, à dix heures du soir, les Allemands abandonnaient Noyon ; le 18 mars, dans la matinée, nos premiers cavaliers, — du 7e régiment de spahis, — faisaient leur entrée dans la cité reconquise, ayant franchi les routes coupées, les inondations tendues, et capturé les derniers traînards de l’arrière-garde. Noyon est une vieille ville de chez nous. Sur la place principale qu’orne un bel hôtel de ville Renaissance, une fontaine rappelle son passé : là Chilpéric fut inhumé, Charlemagne sacré, Hugues Capet élevé au pouvoir royal. Quand les gamins signalèrent les cavaliers, — dont les uniformes khaki firent un instant hésiter sur la nationalité des conquérants, — Noyon, sortant de leurs cachettes les drapeaux tricolores, pavoisa.

— Nous vous attendions, me dit ce matin (19) une vieille femme, comme j’arrive de Lassigny détruit. C’est le 30 août 1914 que le dernier soldat français nous quitta. Depuis ce jour-là nous vous attendions. Cela fait deux ans et demi. C’est long. Bien des fois il nous semblait que le canon se rapprochait, et nous pensions, — car il ne fallait rien dire : « Ce sera pour bientôt. Les nôtres sont là, pas bien loin. Pourquoi ne tirent-ils pas sur Noyon ? Qu’ils tirent donc sur nous, — nous descendrons dans les caves, — mais qu’ils viennent ! » Deux ans et demi, c’est long, quand il faut surveiller toutes ses paroles et tous ses gestes…

Noyon, cependant, a été relativement épargnée, sauf le quartier de la gare et les casernes de cavalerie qui ont été brûlés, et les maisons en bordure de la Verse quils ont fait exploser. Noyon a l’apparence d’une ville vivante. Si l’on y regarde de plus près, on découvre mieux les ruines : intérieurs pillés, boiseries brisées, portes enfoncées, meubles estropiés. Du moins la cathédrale et l’hôtel de ville, intacts, rappellent la vie d’autrefois.

Chauny a été plus maltraitée. De Noyon à Chauny, il y a 16 kilomètres. La route suit, sans le border, le cours de l’Oise.