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cause qui, étant la leur, leur paraissait être la bonne. Il s’agis- sait d’un procès à gagner, d’un emploi à obtenir, d’une intrigue à déjouer. Trop souvent, le consul avait lieu de s’attrister et de sourire à la fois de l’idée un peu déconcertante que l’on paraissait se faire de cette « justice » que l’on invoquait. Trop souvent, dans sa naïveté, le plaidoyer se ramenait à ceci : « Je suis à vous, vous le savez ! faites triompher ma cause ! » Même alors, ces défaillances du sens de la justice ne condamnent-elles pas d’abord le régime traditionnel d’arbitraire qui a ravalé ainsi les mœurs publiques ? Mais le plus souvent, la doléance apportée par le visiteur était la protestation d’une conscience restée saine contre une exaction plus ou moins éhontée, contre un méfait plus ou moins odieux du syndicat de fâcheuse mémoire qui, en ce temps-là, gouvernait le Liban. Et s’il arrivait qu’une de nos divisions navales, faisant sa tournée dans le Levant, jetât l’ancre devant Beyrouth, les cœurs, au Liban, s’émouvaient joyeusement à la vue des « frégates françaises. » Quelques-uns, sûrs de l’avenir, déjà s’enhardissaient à dire : « Monsieur le consul, est-ce pour cette fois ? »

La deuxième année de sa mission, le consul de France fut amené à visiter, dans sa résidence d’été, à Beit-Eddin, un nouveau gouverneur du Liban, Naoum Pacha. Les scandales de l’administration du gouverneur précédent, mort depuis peu, avaient permis aux ambassadeurs de France et d’Angleterre à Constantinople de se montrer sévères quant au choix de son successeur. La fonction était ainsi échue à un dignitaire chrétien de la Porte, Naoum Pacha, que Paris a vu mourir, il y a peu d’années, ambassadeur du Sultan et qui, là-bas comme ici, s’est toujours montré honnête homme. L’excursion, dont l’objet officiel était de répondre à une invitation du gouverneur, présentait pour l’agent français un intérêt d’un autre ordre. A faible distance du palais arabe de Beit-Eddin, où l’attendait l’hospitalité de Naoum, il allait avoir à traverser une petite ville dont le nom, Deïr-el-Kamar, évoque un des souvenirs les plus tragiques sur lesquels soit fondée l’amitié Franco-syrienne. Ce nom, et plusieurs autres, tant de Libanais les lui avaient répétés, depuis son arrivée, avec une expression d’horreur mêlée de gratitude ! Si souvent, hommes mûrs et vieillards lui avaient redit les jours sinistres de 1860, les rumeurs de sang s’élevant de Hasbeya, de Racheya, de Zahlé, s’approchant peu