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d’arrivée. Au pont du Nahr-el-Kelb, limite du Kesrouan, il a trouvé, bannières déployées, tout un peuple venu à sa rencontre. Par la route qui longe la mer, par les sentiers rocailleux qui montent à Bkerké, un long cortège l’a accompagné avec des manifestations de joie exubérantes. Des chants populaires arabes, rudement scandés au rythme de la marche, ont affirmé en termes hyperboliques que le Liban aime la France et lui est reconnaissant de ses bienfaits. « S’il n’y avait plus d’hommes pour l’attester, dit le refrain, les pierres du Liban le crieraient encore ! »

Au seuil d’une vaste demeure, entouré de ses familiers, un grand vieillard, blanc de barbe et de cheveux, attend le représentant français. Il lui ouvre ses bras, l’y étreint, puis l’entraîne d’un pas rapide vers un divan spacieux et presque nu, largement ouvert à la lumière. Après la présentation des notables, après une agape solennisée par des discours, un long entretien particulier réunit là le patriarche et le consul.

Le vieillard exprime les doléances du Liban. C’est presque en vain qu’après l’expédition française de secours motivée, en 1860, par les massacres de la montagne et de Damas, les Puissances ont imposé à la Porte, pour le Liban, des institutions particulières. Les commissaires de l’Europe ont sans doute, le moins mal qu’ils ont pu, adapté ces institutions aux besoins propres de cette singulière montagne de refuge où vivent côte à côte, étroitement enchevêtrées sans se mélanger jamais, une demi-douzaine de petites nations de langue arabe, toutes en défaveur auprès du conquérant turc. Faute d’avoir été soumis à un contrôle organisé, le régime libéral ainsi élaboré n’a pas prévalu contre l’arbitraire des gouverneurs. Il n’a pas préservé le Liban de la corruption, ni administrative, ni judiciaire. Le Liban souffre. Ses enfants émigrent. Il met tout son espoir dans la France. Elle a commencé l’œuvre de protection. La laissera-t-elle si imparfaite ?

Une même plainte générale se dégageait des requêtes que, chaque matin, apportait au consulat général une clientèle nombreuse et passionnée. Maronites et Druses, Grecs-melchites et Grecs-orthodoxes, Musulmans et Metoualis, Algériens fixés à Damas, Juifs de Saflet et de Tibériade, il n’était pas de jour où des notables de ces communautés ne vinssent demander l’appui de l’agent français, dans telle question particulière, pour une