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des Etapes, la D. E., complaisante, prêta spirituellement quelques prisonniers boches, qui réparèrent avec zèle le mal occasionné par les projectiles de leurs frères. Les vaches qui, en 1914, avaient échappé aux obus et qu’on avait transportées en Bretagne, furent ramenées et se remirent à paître paisiblement aux lieux mêmes où l’on s’était battu. En face de l’église démantelée, se dressa bientôt le baraquement de la mairie-école, car la commune entendait recommencer sa vie collective. Puis ce fut, à côté, le baraquement des Garin, les premiers réinstallés. Les Carpentier, les Dubois, d’autres encore s’établirent tant bien que mal dans leurs maisons à demi détruites dont ils refirent les charpentes, les murs, à peu près tout l’intérieur. La généreuse Mme Stern reconstruisit les immeubles des Lepère, des Hénot, des Lobert. Ainsi tout rentrait dans l’ordre.

Tout rentrait si bien dans l’ordre que le Conseil municipal tenait ses séances quasi régulièrement. Le capitaine du Pontavice, promu commandant et attaché à un état-major, quand son service le lui permettait et qu’il pouvait s’échapper, accourait le présider. Tout rentrait si bien dans l’ordre que les réceptions recommençaient ; mais la baraque avait remplacé le château. Celui-ci ne recevait plus que Dieu lui-même, sur l’escalier monumental, seule pièce échappée au naufrage, où les aumôniers de passage venaient célébrer la messe. Un jour, ce fut le Père Joyeux, aumônier de la division Guyot de Salins, qui devait s’illustrer plus tard ici même : le général y assistait, et cet admirable commandant de Clermont-Tonnerre, du 4e zouaves, en qui nous devinions un futur Albert de Mun et qui devait mourir dans le voisinage, à la lisière d’Orvillers. Un dimanche de février 1918, la messe fut dite par le doyen de Lassigny, revenu de captivité, et revêtu, par-dessus ses habits sacerdotaux, de cette majesté et de cette noblesse que donnent la misère, la souffrance et la prison à ceux qui les ont subies en les dominant.

— Tout ça n’est rien, me confiait en septembre 1914 un soldat blessé à la bataille de la Marne, proche Montmirail ; tout ça n’est rien, si c’est fini pour les semailles.

Tout ça, que son geste élargissait, signifiait : la guerre. Il la considérait comme un phénomène sans importance, si elle n’interrompait pas le cours des travaux agricoles. À cette préoccupation, il était aisé de reconnaître sous la capote un