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IV. — LES NOUVELLES SEMAILLES

Dans les grands événements, l’histoire privée et l’histoire nationale se confondent : l’une est la réduction de l’autre. Sur un coin de sol, dans une famille, la guerre se reflète comme dans une glace : le cadre est étroit, mais elle y tient toute. Le lecteur se doute bien que Mme du Pontavice, dès la grande nouvelle répandue de la retraite allemande, a fait le siège de l’administration militaire pour rentrer au Plessis-de-Roye, entraînant avec elle Hénot rajeuni, et Louis Lefèvre plus gaillard encore, et Alépée, le secrétaire de mairie, et, peu à peu, la petite population qui se pourrait loger dans les démolitions et les décombres. Tout ce monde a voulu revoir le village, et les terres, et l’église, et le château qui appartient à leurs yeux et à leurs habitudes autant qu’au maître du logis. Il y eut quasi-uniformité dans la tristesse de ce pèlerinage : pour chacun le désastre était pareil. Tous étaient soutenus par la pensée que du moins l’ennemi n’avait pas franchi leur seuil. Le château Renaissance perdait sa beauté ancienne par mille dévastations, extérieures ou intérieures, comme un corps perd son sang par mille blessures. Des maisons du village les unes étaient réduites aux quatre murs, les autres n’étaient plus qu’un amas de débris. Des tranchées traversaient ces restes, des boyaux coupaient le malheureux parc changé en marécage. La première impression était désespérante, pareille à une visite au cimetière où l’on va pleurer un parent qu’on n’a point revu. Mais n’ayant distingué tout d’abord que les ruines, les revenants, après quelques instants douloureux, ne virent plus que le parti à en tirer. Les pierres et la terre restaient : on referait des habitations et des champs. Et comme il n’y avait pas de temps à perdre, incontinent on se mit à la besogne.

Mme du Pontavice fut la première à rebâtir : un baraquement sur la terrasse, en face de la demeure béante des Condé, un nid sur l’arbre foudroyé. Elle donna aussi l’exemple du travail agricole. Ce morceau de terre française, après avoir servi de barrière à la France, servirait encore à la nourrir. Comment se procurerait-on la main-d’œuvre et les bêtes de trait ? Une division, au repos à Riquebourg, les fournit. Les hommes y trouvèrent leur compte, et les chevaux leur entretien.. La direction