Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par l’expérience de l’émigration, à cette pensée fondamentale de l’Occident, la laïcisation de la société civile, ils paraissent avoir admirablement compris que si, au temps de l’oppression, chaque communauté a été tant bien que mal l’abri d’une minorité religieuse, le régime de liberté qui s’annonce invite à en sortir pour aller librement par la Cité, Ils semblent découvrir la valeur des liens créés malgré tout entre les Syriens de tout culte, dans un même pays, par une même langue, par les mêmes conditions de vie, et que vient de resserrer entre eux le crime de la Turquie.

La démarche officielle dont le Conseil administratif du Liban a résolu de saisir la Conférence de la paix est à cet égard significative. On sait que ce Conseil, institué en 1861 à la suite de notre expédition, contient en nombre déterminé des représentants des diverses populations de la montagne, maronites, druzes, grecques, musulmanes, metonalies. Ce sont ces conseillers qui s’accordent à demander l’institution, dans un Mont-Liban aux frontières élargies, d’une Chambre représentant non plus les communautés, mais « le peuple. »

Voilà donc les représentants autorisés de ces populations libanaises que jusqu’ici tout divisait, puisque la religion était tout, voilà ces voisins ombrageux qui décident solennellement de se présenter « devant le plus grand tribunal de justice que l’humanité ait jamais institué » pour y manifester la volonté de vivre unis sous les mêmes lois, de former une même société.

Ce n’est encore qu’un acte de volonté. Mais cette volonté de vivre ensemble, de mettre en commun tous les éléments de la société civile n’est-elle pas l’âme même d’un édifice social quand elle peut s’alimenter de sentiments assez généraux pour la rendre unanime, assez puissants pour la rendre durable ? « Une nation, dit M. Renan, est une âme, un principe spirituel. » Pour des Libanais de toute confession, quels sentiments plus propres à les unir que l’horreur de leurs communes épreuves ? et que l’amour de cette montagne natale qui, par la hauteur de ses sommets, par la profondeur de ses gorges, par sa proximité de la mer semble avoir été créée tout exprès pour offrir à des populations persécutées l’abri suprême où sauver d’un désastre leur vie et tout ce qui est plus précieux que la vie ? En réalité, c’est bien là le bienfait incomparable dont les habitants du Liban lui sont redevables pour leurs plus lointains