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193 000 obus et subi un siège en règle, devait, l’honneur étant sauf, capituler le 28 septembre, et Metz était, on sait dans quelles circonstances douloureuses, livrée le 27 octobre par Bazaine. Phalsbourg n’ouvrit ses portes que le 12 décembre. Seule, Bitche ne se rendit pas, seul îlot sur lequel, dans les premiers mois de 1871, flottât, au milieu de cette inondation, le drapeau aux trois couleurs.

Dès les derniers mois de 1870, la « carte au liséré vert » était déjà prèle entre les mains du chancelier, comte de Bismarck, le cruel liseré vert qui, au profit de l’Allemagne, retranchait du pays de France l’Alsace et une partie de la Lorraine. Par les préliminaires de paix signés le 26 février 1871, l’amputation était par Thiers, — le couteau sur la gorge, — consentie, et l’acte porté à l’Assemblée nationale pour qu’il en fût débattu. Malgré la poignante déclaration lue à la tribune, au nom des élus de l’Alsace et de la Lorraine, par Émile Keller, l’Assemblée, la mort dans l’âme, ratifiait par 516 voix contre 107 et 23 abstentions les préliminaires. C’est alors que Grosjean, se levant à son tour, porta à la tribune, avec la démission des représentants d’Alsace et de Lorraine, leur solennelle protestation.

Le traité de Francfort du 10 mai 1871 enfin consommait l’acte, — abominable non seulement aux yeux des Alsaciens et Lorrains, arrachés contre leur gré à la mère patrie, et des Français contraints par la force à accepter cette déchéance, mais encore au regard du droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes.

L’Europe ne comprit point que cette blessure ouverte au flanc de la France l’était en réalité à celui de l’humanité entière, que tel attentat éclatant et, en apparence, triomphant, contre la justice, frayait la voie à la pire des politiques et que la boîte de Pandore était ouverte d’où s’échapperaient promptement des maux qui sans cesse s’aggraveraient.

Après avoir, en plein Reichstag, au milieu des risées et des injures, protesté par la bouche de Teutsch, parlant au nom des députés récemment élus par les deux provinces, celles-ci, courbées sous un joug tous les jours alourdi, allaient en dévorant leurs larmes vivre une existence odieuse, — pendant près d’un demi-siècle.

Le 17 novembre 1918, le général Hirschauer, commandant la 2e armée française, entrait, le premier de tous, à Mulhouse