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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

au milieu d’un enthousiasme littéralement indicible, sous les fleurs et les baisers, tandis que, par les cols des Vosges, bataillons, escadrons et batteries de la plus magnifique « Grande Armée » que la France eût connue, descendaient vers les petites villes d’Alsace, éperdues de joie à leur vue. Le 19 novembre, lorsque déjà trente communes lorraines accueillaient depuis deux jours dans les larmes, parfois silencieuses et d’autant plus poignantes, les troupes de la 10e armée, — général Mangin, — le général en chef Pétain, nommé, la veille au soir, Maréchal de France, faisait à Metz une entrée que l’altitude extatique de la population transformait, suivant une expression juste, en une sorte de « sacrement. » Le 22 novembre, alors que, de tous les côtés, les soldats de France étaient, de la Seille à la Sarre et des Vosges au Rhin, reçus dans les transports d’une adoration, — là religieuse et presque mystique, ici joyeuse jusqu’à la frénésie et grondante comme un ouragan, — le général Gouraud, commandant la 4e armée, pénétrait par la porte de Schirmeck à Strasbourg au milieu d’un délire dont, vécût-il cent ans, aucun des témoins du drame ne perdra la mémoire. Le 25 novembre, le maréchal Pétain, à son tour, venait prendre au nom de l’armée française tout entière, victorieuse et libératrice, possession de la vieille ville républicaine qu’il trouvait enivrée d’amour et folle de joie, tandis que, de Forbach à Wissembourg, de Wissembourg à Huningue, l’armée de France venait, terminant cette réoccupation, border l’ancienne frontière et fermer ainsi la blessure qui jamais ne s’était laissé cicatriser. Alors Foch parut, — grands entre les plus grands, — qui, vainqueur de l’Allemagne tous les jours depuis tant de semaines, vint saluer Fabert à Metz et Kléber à Strasbourg et clore la série de ces fêtes du cœur et des armes.

Ce qui, en ces heures historiques, émerveilla les témoins et les héros mêmes de ces fêtes, ce fut moins le spectacle prodigieux que, durant ces quinze jours, offrit ce pays en quelques heures arraché à un si long cauchemar, moins les manifestations incomparables, tout à la fois poignantes, parce qu’elles jaillissaient des profondeurs de l’âme, et exquises, parce qu’elles se revêtaient d’une rare délicatesse, et moins encore l’éclat étonnant que leur donnaient mille et mille détails pittoresques, qu’un phénomène qui probablement est et restera sans précédent dans l’histoire de l’humanité : je veux dire la rapidité