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doute qu’il eût accumulé les puissances matérielles et concentré les effectifs. Qu’elle s’exécutât au temps, sinon au lieu prévu, c’était presque un soulagement. Cependant, on sentait l’angoisse de la grande partie engagée et l’on était comme suspendu aux nouvelles.

Les événements, en si peu de jours, se précipitaient. La lourde masse des trente-sept divisions von Hutier, rapprochées et mises en place par de savantes marches de nuit qui en avaient dissimulé, même aux avions, la concentration, avait dès le premier jour bousculé les dix divisions de la 5e armée britannique. Le 22, le canal Crozat avait été franchi. Les Anglais en retraite, appuyant vers le Nord-Ouest, perdaient, malgré leur force de résistance, Ham et Guiscard, devaient céder sur la Somme, découvraient Lassigny, Roye et Montdidier. Cependant, nos troupes, en hâte, étaient jetées dans la bataille. Dès le 21 au soir, le corps Pellé était alerté. Le 23, l’armée Humbert entrait en ligne. Le corps de cavalerie Robillot assurait la liaison à notre gauche avec l’armée anglaise. Il fallait tout ensemble couvrir Paris et Amiens. Or, Noyon tombait le 25 au soir. Mais l’opiniâtreté du corps Pellé devant Noyon, dans Noyon, derrière Noyon, au mont Renaud et à Porquericourt, avait ralenti, puis suspendu la marche ennemie. Le corps Robillot tendait sa ligne à la rompre pour ne pas perdre à l’Ouest le contact avec les Anglais. Humbert, écartelé, avec une énergie de fer, résistait de toutes parts, tandis que l’armée Debeney, amenée de Lorraine comme en septembre 1914 l’armée Castelnau, débarquait derrière Montdidier. L’ancienne course à la mer recommençait, devenue la course vers Amiens, et le général Fayolle, retrouvant l’emplacement de ses anciennes victoires, était chargé par le général en chef de grouper nos forces entre l’Oise et la Somme.


Qu’étaient devenus, dans la bagarre, les habitants des régions récupérées l’année précédente ? Leur décision fut unanime. Ils ne purent supporter la pensée de subir à nouveau le joug allemand. Avertis souvent bien tard, ayant espéré jusqu’au dernier moment que l’invasion serait contenue, ils firent en hâte un paquet de leurs humbles trésors familiers, et, comme Enée emportait ses dieux lares, avec ces quelques souvenirs roulés dans un châle ou un mouchoir, ils abandonnèrent