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leur maison et leurs biens. Noyon fut ainsi vidée en quelques heures, Noyon qui s’était reprise à la vie commerçante, qui rapidement avait prospéré, qui regorgeait de nouveaux approvisionnements. Personne ne regarda en arrière. Personne n’eut une hésitation. Mieux valait partir sans le sou, au hasard des chemins, s’exposer à la misère et même aux rebuffades insouciantes qui, parfois, accueillent ces exilés, plutôt que de connaître le retour des Boches. L’ennemi occupa des villes et des villages déserts : la réprobation .qui frappe les races maudites et malfaisantes l’accueillait à chaque porte qu’il forçait.

Qu’étaient devenus les habitants du Plessis-de-Roye devant Lassigny, puisque l’histoire d’un coin de l’Ile-de-France nous doit renseigner sur l’histoire de France ? On m’en avait donné des nouvelles à Clermont :

— Ils ne voulaient pas s’en aller. Il a fallu les contraindre. Plus tard, un peu plus tard, leur nairesse, Mme du Pontavice, m’a fourni plus de détails. Le 21, l’oreille aux aguets, ils écoutaient la canonnade. L’un ou l’autre s’en fut aux champs ; mais, dès le 22, personne ne put travailler. L’angoisse, une angoisse connue, leur tenaillait le cœur, les prenait aux entrailles, car le bruit du canon paraissait se rapprocher. ; Le 23, aucun doute n’était plus possible, et, le 24, c’était la fusillade qu’on entendait au delà de Noyon, venant des bois de la Cave et de Genlis. Les cavaliers du général Brécard, les fantassins du général Gamelin y contenaient la formidable ruée ennemie. Des enfants coururent jusqu’à la route de Noyon à Compiègne : ils racontèrent qu’elle était noire de convois ; les gens de Guiscard passaient, les gens de Noyon commençaient à défiler. Mais d’autres petits émissaires avaient gagné la route d’Estrées-Saint-Denis à Roye et rapportaient des nouvelles plus réconfortantes. Ils avaient vu des camions automobiles qui arrivaient et déposaient nos troupes : soldats de la 22e, de la 62e division montant vers Nesle et vers Chaulnes. Mais des Anglais descendaient, en bon ordre, comme à la parade. C’était à n’y rien comprendre. Les habitants qui fuyaient disaient : « Nous ne voulons pas les revoir.. Nous les avons vus trop longtemps. » Les soldats qui arrivaient disaient : « Soyez sans crainte ; ils vont prendre quelque chose. » Pourtant ces départs de Guiscard et de Noyon, et cette canonnade voisine,