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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

C’était la noce, le gâchis, il n’y avait pas à se gêner. Nous n’osions plus sortir que le soir dans les rues calmes. « À chaque succès en Orient ou en Occident de « l’incomparable armée, » pavoisement général : ordre à tout habitant de pavoiser ; en soupirant, les Alsaciens attachaient à un balcon un drapeau ronge et blanc d’Alsace, seul moyen d’esquiver les couleurs de l’Empire. « Je n’en ai jamais mis un, me disait un Strasbourgeois, sans penser : Voyons, ne mettrons-nous jamais l’autre, le vrai, le beau tricolore ? »

Les victoires « incomparables » succédaient aux victoires « incomparables. » Charleroi, Maubeuge, réels succès, puis de moins réels ou de tout à fait mensongers : on marchait sur Paris, Verdun était pris, Paris était pris. Notre victoire de la Marne passa, — si invraisemblable que cela nous paraisse, — absolument inaperçue. Les journaux français pénétraient bien dans l’Empire par la Suisse, mais ils ne pouvaient, venant d’Allemagne ou de Suisse, franchir le Rhin ni la banlieue badoise de Bâle. L’Alsace était entre deux murs et ne savait l’histoire que par Wolff. En 1916, soudain, le canon furieux de Verdun s’entendit de Thionville à Saverne et l’écho en retentit, de proche en proche, jusqu’à la Sarre et jusqu’au Rhin, dans tous les cœurs qui battaient à se rompre. Cette fois, ricanaient les Allemands, la France est perdue ; on éleva à Metz, déjà accablé sous les bronzes des Hohenzollern, une arrogante statue de fonte au Feldgrau vainqueur, face à la France, et ce furent autour de ce fétiche des scènes de convulsionnaires. Toutes les semaines, on annonçait la chute de Verdun ; le cœur en détresse, la bouche sèche, les Alsaciens-Lorrains lisaient les communiqués. « Est-ce pour aujourd’hui la ruine de notre vieille patrie ? » Lorsque, en août, il fallut leur avouer que l’assaut sur Verdun était arrêté, en octobre et décembre, que les Français avaient repris les positions, un sourd murmure de joie courut les cités de la province. La délivrance allait-elle venir en 1917 ? L’Allemand montrait moins d’assurance. Mais la révolution russe, le demi-échec des Français sur les collines de l’Aisne transformé par la presse en une irréparable défaite, l’écrasement de la Roumanie exagéré par la même presse, la défection de la Russie chantée par mille voix, faisaient renaître tous les espoirs, livraient le gouvernement aux pangermanistes et, surexcitant les passions, les haines, tes