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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

disaient que, si les Boches gagnaient, c’est qu’au ciel le Bon Dieu serait un Boche et personne ne croirait plus en lui. » Mais de foi plus solide, nombre de prêtres et de fidèles, partant du même principe, aboutissaient à la conclusion opposée. « Dieu ne peut être Boche. La France gagnera. » À Colmar, on se passait de bouche en bouche le mot que Mlle Preiss avait crié devant la tombe de son père, tué à petit feu : « Des soldats français viendront qui vengeront mon père. » Je connais une famille qui, enragée de confiance, prépara ses drapeaux tricolores dans le moment même où tout semblait perdu. Elle risquait la prison et la déportation, mais elle savait que le Ciel souffre violence et espérait à force de foi. Il n’en va pas moins que lorsque, dans les premiers jours de juillet, le bruit venu, malgré toutes les précautions, des armées allemandes de France qu’un coup suprême se préparait, l’Alsace-Lorraine, dans le secret des foyers, au pied des autels, dans les églises, les temples, les synagogues, exhalait un suprême appel au Ciel, dans cette langue que nul tyran ne pouvait atteindre : « Du fond de l’abîme j’ai crié vers toi, Seigneur. De profundis clamavi ad te, Domine. Seigneur, exauce ma prière. Domine, exaude vocem meam… Aie pitié de moi, Soigneur, aie pitié de moi. Miserere mei. Domine. Miserere mei. »

À cette heure, le général Gouraud, averti que l’attaque s’allait produire sur son front, s’apprêtait, les instructions du Haut Commandement en main, à la recevoir en chevalier qui fut toujours sans peur et sans reproche.

Le 14 juillet 1918, l’Alsace frémissante déjà prêtait l’oreille : vivant dans l’atmosphère délétère que créait l’Allemagne autour des terres qu’elle occupait, elle n’espérait que contre toute espérance. Les drapeaux tricolores encore découpés ou enfouis dans les armoires frémissaient dans leurs cachettes.

À Paris ils sortirent en cette journée de fête nationale que la suite des événements devait rendre pour tous les témoins inoubliable, tant la confiance s’y fit éclatante. À minuit, le ciel, vers l’Est, s’éclaira de mille lueurs. Un grondement continu s’entendait que seul le battement de nos cœurs eût pu nous empêcher, à certaines minutes, de percevoir. À mon retour au Grand Quartier général, j’appris que la victoire s’annonçait