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Gouraud, averti, avait su, à la perfection, appliquer, à l’heure précise, le plan du général en chef Pétain : son artillerie prévenant l’attaque, tout d’abord, l’avait en partie déconcertée et la manœuvre, qui restera célèbre sous le nom de manœuvre du 15 juillet, avait créé devant l’ennemi ce formidable piège où la Bête se précipita pour y sombrer. À neuf heures du matin, le 15, vingt divisions allemandes, écrasées, semaient de leurs débris les monts et la plaine, et la victoire en chantant nous ouvrait la carrière.

À Metz, à Strasbourg, on ne sut rien. Le mensonge allemand se surpassait lui-même : c’était la « manœuvre morale, » la stratégique ayant échoué. On proclama que tout dans l’événement était victoire pour l’Allemagne.

L’Alsacien est trop fin et le Lorrain trop entraîné au bon sens pour que de si audacieuses fantasmagories, cette fois, lui fissent illusion. On eut, en Alsace-Lorraine, le sentiment très net que l’Allemand venait de subir une défaite peut-être irrémédiable et que Dieu faisait décidément sentir son bras. Mieux que nous peut-être, plus tôt que nous, ceux qui surent (et par de mystérieux courants, la vérité pénétrait), mesurèrent les conséquences. Un jeune Alsacien, soldat de cette même armée qui, le 15, était écrasée par Gouraud, me disait d’une voix qui frémissait encore de joie rétrospective, avec quelle secrète allégresse il avait vu refluer vers les batteries qu’il servait les derniers restes des divisions écrasées. « Un de mes camarades allemands qui me savait Alsacien me dit : « Cette fois, X…, tu vas redevenir Français. » Si l’on ne voyait pas si clair à l’arrière, le canon de Debeney et celui de Rawlinson en août acheva d’édifier. L’Alsace-Lorraine attendait maintenant dans une fièvre où l’espoir l’emportait sur le doute.

« Nous vous attendions depuis quarante-huit ans, me disait avec un rire heureux un brave homme de curé alsacien, mais nous ne vous attendions plus qu’au printemps prochain ! » Depuis tant d’années, l’Alsace-Lorraine contemplait avec terreur la colossale puissance militaire de l’Empire, qu’elle ne pouvait s’imaginer que celle-ci croulât en si peu de semaines. Sur l’issue finale aucun doute ne subsistait ; les Allemands ne se ressaisiraient pas ; mais il faudrait encore que les Alliés fissent rude et longue campagne, sur la Meuse, sur la Moselle,