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L’air était orageux et les toits dans la brume
Ressemblaient aux rochers que recouvre l’écume,
Les antennes vibraient au sommet de la Tour.

Une lueur parut qui n’était point le jour,
Rose d’un rose horrible.
De nuage en nuage elle montait dans l’air,
Ayant du sang clair
La hâte terrible.

On entendait les coups lointains
Frappés par les canons aux portes des vallées.
Les aiguilles tournaient sur des cadrans éteints,
Et les lampes étaient voilées.

Et les coups redoublaient, plus sourds au fond des bois,
Plus larges dans la plaine.
Les femmes dans leur lit retenaient leur haleine,
Mais les câbles, les fils parlaient tous à la fois,
Tous les appareils Morse
Déroulaient leur fin ruban bleu :
L’Allemagne attaquait en force,
La ligne de Châlons est déjà sous son feu.



L’obus indifférent couvre sa trajectoire,
Et ceux qui vont mourir poussent leurs derniers cris.
Un homme est sûr de la victoire.
Il s’avance au milieu de quelques manteaux gris.
Reims, où l’âme survit dans la pierre trouée.
Semble un phare qui danse au haut d’une bouée.
L’homme est content de ce qu’il voit.
Il déploie une carte et l’ongle de son doigt
Sous un rayon tremblant erre de ville en ville.
L’aide de camp sourit d’un sourire servile,
Et la voiture attend au bas de la forêt...

Le jour point, la Marne est franchie.
Mais notre ligne au Nord s’est à peine infléchie :
L’ennemi marque un temps d’arrêt.