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l’essor de son imagination et il s’en garait comme d’un embarras.

Si cet essai de « recoupement » pressente quelque intérêt, c’est précisément en ce qu’il permet de mieux évaluer ce que Dumas empruntait à l’histoire, — presque rien : une situation, un nom, un cadre ; et ce qu’il en laissait, — c’est-à-dire à peu près tout : et c’est merveille de constater comment, avec des procédés aussi sommaires et artificiels, son singulier génie parvenait à reconstituer des ligures d’apparence si réelle que, plus on étudie le modèle, plus on admire le pastiche. La véritable histoire du chevalier de Rougeville est une désillusion navrante pour qui a lu le Chevalier de Maison-Rouge.

Une déception du même genre est réservée aux curieux qui, dans l’espoir de prendre Dumas en flagrant délit de plagiat, essaieraient de lire les Mémoires de M. d’Artagnan, capitaine-lieutenant de la première compagne des Mousquetaires du Roy, contenant quantité de choses particulières et secrettes qui se sont passées sous le règne de Louis-le-Grand . À Cologne, chez Pierre Marteau 1701. L’ouvrage comporte trois volumes et peut être considéré, d’ailleurs, comme parfaitement apocryphe, car il eut pour auteur, non point d’Artagnan, mais l’un de ses amis, Galiea de Courtilz, seigneur de Sandras. Ceux qui, pour faire Montre d’érudition, insinuent que Dumas n’a eu d’autre peine que de copier là dedans les aventures de son héros, établissent par cette seule assertion qu’ils n’ont jamais ouvert ce vénérable bouquin. Sans doute, dans la préface du roman, Dumas lui-même expose qu’il en emprunte tous les éléments aux Mémoires île M. d’Artagnan ; mais c’est là un artifice si souvent employé qu’il ne trompe plus personne et auquel l’auteur, tout le premier, serait désolé qu’on se laissât prendre. Dans cette même préface il fait allusion à d’autres Mémoires « à lui signalés par son illustre et savant ami Paulin Paris ; » ce sont les Souvenirs de M. le comte de la Fère, dont le manuscrit in-folio est coté, dans les collections de la Bibliothèque royale, sous le no 4 772 ou 4 713 !… Or, ces Souvenirs du comte de la Fère, et ce personnage lui-même, n’ont jamais existé que dans l’imagination de Dumas. Peut-être, ayant indiqué comme l’une de ses prétendues sources les Mémoires de M. d’Artagnan, et se figurant qu’il se rencontrerait des badauds assez simples pour collationner son texte avec la version originale, se précautionnait-il