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conte ces naïfs inquisiteurs, en déroutant leur perspicacité qu’il lançait sur la piste d’un document introuvable ? Peut-être voulait-il donner à croire que tout ce qui, dans son livre, ne provenait pas du premier de ces ouvrages, était tiré du second ? Peu importe. Ce genre de supercherie était fréquent en ce temps des Lamothe-Langon et des Courchamp et l’on aurait mauvaise grâce à le reprocher à Dumas. Ses fantaisies historiques portaient si bien la marque de son esprit et de sa verve infatigable que personne, je pense, n’y fut jamais trompé.

Qu’a-t-il donc pris aux Mémoires de M. d’Artahnan ? Les noms d’abord : celui du héros le séduisit par sa crâne allure et sa résonance gasconne : ceux d’Aramis, d’Athos et de Porthos, recueillis également dans l’œuvre de Courtilz de Sandras, le frappèrent par leur étrangeté : il imagina même, dit-il, « que c’étaient là des pseudonymes à l’aide desquels l’auteur avait déguisé des noms peut-être illustres. » Ces noms étaient parfaitement authentiques. Aramis qui, dans le roman de Dumas, devient chevalier d’Herblay, puis évêque de Vannes, puis général des Jésuites, et enfin duc d’Almeréda, était, dans l’histoire, Henry d’Aramitz, écuyer abbé laïque d’Aramitz en la vallée de Bareton, sénéchaussée d’Oloron : entré aux Mousquetaires en 1640, il épousa, deux ans plus tard, Jeanne de Béarn-Bonasse, dont il eut quatre enfants. — Le noble Athos était, en réalité, messire Armand de Sillègue, seigneur d’Athos, tout petit village situé aux portes de Sauveterre-de-Béarn, sur la rive droite du gave d’Oloron : mousquetaire de la garde du roi, il trépassa à Paris le 21 décembre 1643 et, d’après un acte découvert par Jal dans les registres mortuaires de l’église Saint-Sulpice, il semble bien qu’il succomba dans quelque duel, son corps ayant été trouvé « proche la halle du Pré-aux-Clercs. » Dumas ayant besoin de lui le fait vivre beaucoup plus longtemps et le transforme en ce comte de La Fère, auteur présumé de ces Mémoires imaginaires que nul n’a lus et ne lira jamais. — Quant à Porthos, il s’appelait de son vrai nom Isaac de Portau et, d’abord garde du roi, n’obtint la casaque de mousquetaire qu’au début de 1643. On ignore quelle fut sa carrière militaire et la date de sa mort ; mais des descendants directs de son frère ainé, Jean de Portau, vivaient encore il y a peu d’années et la famille existe probablement toujours. Félicitons-nous de ce que Dumas n’ait point poussé ses recherches jusqu’à se procurer