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dont il était originaire, l’accueil fut enthousiaste. À Laon, la loge de la Préfecture lui avait été réservée et, comme l’horaire du train qui l’amenait de Paris ne lui permit de paraître au théâtre qu’au milieu de la soirée, toute l’assistance, debout à son entrée, obligea les comédiens à rejouer les actes déjà entendus. Si le chef-lieu le reçut en roi, les habitants de Villers-Cotterets, sa ville natale, le traitèrent en demi-dieu, — et en vieux camarade ; deux représentations ne satisfirent point l’exaltation de ses compatriotes qui, après le spectacle, se massèrent en foule devant l’Hôtel du Dauphin où il était descendu. L’ovation redoubla quand on le vit, de la rue, ceint d’un tablier blanc, coiffé d’un bonnet de cuisinier, remuant les casseroles, secouant les poèles, tournant les sauces, arrosant les rôtis, préparer de sa main le diner de ses interprètes.

Dès cette époque, attristé de la lassitude goguenarde que lui témoignait Paris, il le délaissait volontiers ; la postérité commençait pour lui aux fortifications, et il retrouvait, en province et à l’étranger, une popularité justifiée par quarante ans de succès, période qui excède de beaucoup la résistance d’attention du boulevard. Oti le trouve faisant des conférences au Havre, à Dieppe, à Rouen, à Caen ; puis il retourne à Florence, où il séjourne jusqu’à l’été de 1866. César Canti rapporte dans ses Réminiscences que, ayant rencontré, le 19 juin de cette année-là, le président du Conseil Ricasoli, celui-ci lui confia la décision prise à l’instant par le Roi et les ministres : l’Italie déclarait la guerre à l’Autriche. Le patriote, exultant de joie, courut chez Dumas, qu’il trouva absorbé par la délicate besogne d’assaisonner un « risotto ; » il lui apprit la grande nouvelle ; Dumas se jeta à son cou, l’embrassa en pleurant d’émotion ; pris d’un transport enfantin, il brandit sa casserole et, sans cesser d’en remuer le contenu, se mit à danser en poussant des Vivat ! par toute la chambre.

Qu’il fût foncièrement Latin, cela ne peut être mis en doute. Sir Wallace écrit : « Dumas est resté pour moi le type du Français avec toutes ses bonnes qualités et bien peu de ses défauts. » Aussi son œuvre est-elle l’instinctive apologie de notre race : ses héros sont tous des nôtres ; ils ont la crânerie, la bravoure, l’insouciance, la franchise, la générosité, voire la naïveté, qui ont toujours distingué les Gaulois des Germains. Le père des Trois Mousquetaires était irréductiblement convaincu