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que la France est le premier pays du monde et que son histoire est la plus noble de toutes ; nulle concession à toute thèse, si éloquente ou si savante fùt-elle, qui contrariât cette farouche religion de la patrie. Et ce qui est singulier, c’est que cet amuseur, réputé si superficiel, vit plus juste et plus loin que les plus avisés diplomates. Bien avant la guerre des duchés, il disait : « Géographiquement la Prusse a la forme d’un serpent et, comme lui, elle semble engourdie, tandis qu’elle concentre ses forces pour tout engloutir autour d’elle, — le Danemark, la Hollande, la Belgique ; quand elle aura englouti tout cela, vous verrez que l’Autriche sera dévorée à son tour, et peut-être aussi, hélas ! la France ! En ce même été de 1866, il part pour l’Allemagne, visite le champ de bataille de Sadowa, s’arrête à Berlin, à Gotha, à Francfort, et rapporte de ce voyage un livre : la Terreur prussienne, dont le titre, déjà, était un avertissement salutaire. En bien des pages de ce roman d’histoire contemporaine, sa perspicacité se révèle : « On ne peut se faire une idée de la haine que les Prussiens professent à notre égard. C’est une espèce de monomanie… Cette haine contre la France, profonde, invétérée, indestructible, est inhérente au sol ; on la sent flotter dans l’air. D’où vient-elle ? Nous l’ignorons ; peut-être du temps où une légion gauloise, faisant l’avant garde des armées romaines, entra en Germanie… » Sa pénétration se montre ailleurs encore plus saisissante : « D’où vient cet abaissement du sens moral en Prusse ? De la pression intellectuelle que la maison de Hohenzollern a exercée depuis le jour d’où date sa suprématie sur l’Allemagne… » Le livre parut et nul ne prêta attention à ces prophéties. Dumas ! Encore Dumas ! Quel « blagueur ! » Ainsi parlaient les gens sérieux. Et de quoi se mêlait ce vieux hâbleur, qui écrivait « pour ses créanciers ? » La jeune génération d’alors était irrévérencieuse pour ce bon grand homme qu’elle punissait d’avoir été trop admiré ; un critique le comparait sans respect à « un vieux sultan usant sa dernière douzaine de mouchoirs. » Pour lui avait commencé une période de gêne, presque de détresse ; il cachait à son fils cette situation. Une tentative de résurrection du Mousquetaire ne fut pas heureuse ; il essaya du D’Artagnan,, paraissant trois fois par semaine : encore sans succès. Et pourtant il n’avait rien perdu de sa verve et de sa gaieté : son dernier livre, l’Histoire de mes Bêtes, est l’un des plus amusants. Presque septuagénaire,