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guerre populaire que s’il avait insisté sur la menace que constituaient pour les États-Unis les ambitions et la force de l’Allemagne. Il s’est montré le véritable chef de son peuple, le digne continuateur de Lincoln et de Washington, le porte-parole des plus nobles instincts du pays : et la réponse a été instantanée. Du coup, il rattachait la guerre à la plus haute, la plus émouvante, la plus profonde des traditions nationales, à l’idéal de liberté et de justice égale pour tous, affirmé dans la constitution et réalisé dans la vie de chaque citoyen ; elle y puisait une force et une vitalité que nuls intérêts matériels, nul raisonnement abstrait n’auraient pu lui donner. — Nous touchons ici au centre vital de toute la participation américaine à la guerre. C’est la conscience grandissante d’un grand rôle idéal à remplir, la croissante conviction que les États-Unis combattent pour l’humanité entière et pour faire prévaloir enfin les principes de sa vie qui, graduellement, avec une netteté et une force de jour en jour plus grandes, et accrues par toutes les révélations que leur participation directe amène, transforment l’opinion publique, et peu à peu lui font voir dans cette guerre une croisade.

La révélation totale ne s’est pas faite en un jour. Mais l’histoire de l’évolution des États-Unis à partir de ce 6 avril est celle d’une conquête de plus en plus rapide de l’âme populaire par cette conception de jour en jour plus claire de leur rôle. Les hésitations, les arrêts, les oublis apparents du but idéal, ne sont plus que des obscurcissements momentanés de ce sentiment : d’autres influences d’espèce moins haute ont pu par moments intervenir pour exaspérer l’esprit de guerre : elles ne font en définitive qu’agir toutes dans le même sens ; et sans cet idéalisme foncier qui est le principe vivant et directeur de l’action américaine, elles seraient restées sans effet durable. L’histoire n’offre pas de spectacle plus beau, ni même rien qui puisse lui être comparé. Pour la première fois, une nation entière se dévoue à une cause entièrement désintéressée. Elle le fait, non par obscure impulsion irraisonnée, mais après longue et mûre réflexion, en pleine clarté. Ses fils acceptent de mourir, non pour défendre leur indépendance, mais de lointaines libertés menacées ; non pour libérer leur pays, mais un monde qui leur est étranger ; non pour eux-mêmes et ceux qui leur sont plus chers que la vie, mais pour tous. Aucun motif inférieur ne se mêle à cette libre acceptation du sacrifice