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le salaire d’un jour peut sauver une vie, ne donneriez-vous pas le salaire d’un jour par mois ? » — Ailleurs encore : « Pensez à ce que vous pouvez donner, puis doublez-le. Une vie peut en dépendre. Oseriez-vous ne pas le faire ? » Et l’on donne, l’on donne toujours. Et chacun devient un associé dans l’entreprise commune, y a un gage. Tout le prodigieux génie de réclame américain trouve enfin une issue noble à son incomparable activité, et ne semble plus avoir d’autre obsession que la guerre. Avec le succès, les efforts, l’action permanente et grandissante, la contagion se répand toujours plus intense. L’Amérique n’a plus d’autre pensée que de donner, de se dévouer, de vaincre. C’est la ruée de tout un peuple vers une lumière éblouissante qui l’aveugle à tout ce qui n’est pas la guerre : c’est une ferveur mystique, un sublime soulèvement de passions généreuses, le besoin de mourir pour une cause. Autrefois, pour libérer un tombeau vide et un sol sacré, des millions d’hommes sont partis à travers l’immensité des espaces dangereux, d’un même cœur, d’un même amour, à la mort bienheureuse. Aujourd’hui, sur des mers plus périlleuses encore, à travers des espaces plus vastes, l’Amérique envoie ses enfants vers un but idéal encore moins tangible que ce tombeau, pour une foi qui ouvre les portes non du ciel, mais d’un avenir humain de jours meilleurs. Sur cette terre de France sanctifiée par le martyre, ils vont, eux aussi, combattre des païens, les infidèles qui, aujourd’hui, nient, non la religion d’un groupe, mais la commune religion de toute l’humanité, toutes les piétés, toutes les saintes traditions de douceur, de bonté, de loyauté dont l’homme vit.

— N’a-t-on pas raison de dire que cette guerre est devenue une croisade, et que les Américains sont des croisés ?


EMILE HOVELACQUE.