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valeur. Trois ou quatre notes parfois, pleines de sens et de sentiment, veulent dire beaucoup. Deux même, en certain cas, peuvent suffire. Et ce cas n’est rien moins que celui d’Ulysse. Oui, deux notes voisines, dont la plus basse frappe vivement contre l’autre, voilà tout le thème d’Ulysse. Un thème ? A peine. Encore moins une mélodie. Plutôt un mouvement, un accent sonore. Toujours le même par l’élan ou l’ictus rythmique, l’instrumentation, la tonalité, le modifie et le renouvelle. Identique et divers, il marque ainsi de traits changeants le personnage qu’il figure : fier, éclatant, s’il désigne le héros, l’époux, en personne et présent ; tendre et comme un peu lointain, lumineux toujours, mais voilé, s’il nous le rappelle seulement au travers du souvenir de l’épouse, et de son attente, et de sa rêverie.

En tout et partout l’art sobre et discret de M. Fauré pourvoit à notre plaisir, à notre émotion même, avec une sûreté, voire une plénitude, où la prodigalité d’un art contraire atteint rarement aujourd’hui. M. Fauré connaît tous les secrets, — qui sont parmi les plus cachés, — de la déclamation lyrique, du « parler musical, » ainsi que l’ont défini (favellar in musica) les Florentins du XVIIe siècle, qui l’ont créé. Gardien en cela de la tradition latine, la nôtre, l’auteur de Pénélope comptera parmi les bons serviteurs du verbe, de notre verbe français. Il est sensible à la beauté de la parole pure, de la parole nue, ou voilée à peine. Il a pour elle un respect, une tendresse pieuse. On dirait parfois qu’il craint d’y mêler non pas même toutes les voix de l’orchestre, mais une seule de ces voix. D’elle uniquement il attend tout et sait tout obtenir. Avec quel tact et quelle réserve il la note ! Avec quelle intelligence, avec quel amour ! Il excelle à conduire, dans une espèce de solitude sonore, une longue période mélodique et vocale, que n’accompagne et ne soutient d’abord aucune symphonie. Ainsi commence (acte second, scène deuxième) la nocturne cantilène de Pénélope attachant des guirlandes de roses à la haute colonne de marbre qui domine les flots, et qu’Ulysse, revenant, apercevrait d’abord. Bientôt une autre note, isolée, puis d’autres, toujours peu nombreuses, mais choisies toujours, ajoutent au chant primitif un contre-chant et des accords délicats. Alors, comme a dit le poète de Falstaff :


Allor la nota che non é più sola,
Vibra di gioja in un aeeordo arcano.


Ailleurs, presque à toutes les pages du premier acte, un nouvel