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exemple révélerait ou plutôt rappellerait la vertu singulière et profonde, la puissance d’exprimer et d’émouvoir, que peut conférer à la phrase, au mot le plus simple, l’intonation, la modulation la plus simple aussi de la voix. La plus simple, en apparence ; mais inspirée par la sensibilité la plus fine, mais fixée par le goût le plus pur. Au premier acte toujours, la moindre réplique de Pénélope est un détail infiniment précieux. Et dans ses dialogues avec Ulysse, chaque parole, chaque note de l’un et de l’autre interlocuteur a plus de prix encore.

Ainsi le verbe est peut-être le centre de cet art. À moins pourtant que ce ne soit l’harmonie. En cet autre domaine, ou, sur ce domaine, on sait que le musicien de Pénélope règne en maître ; en maître, comme l’époux de son héroïne, ingénieux et subtil. D’un bout à l’autre de la partition, c’est un délice d’en suivre l’enchaînement harmonique et tonal. Bien plus, une page, une phrase, une mesure isolée, nous donne le même plaisir. À côté de la parole chantante, au-dessous, autour d’elle, il suffit de quelques notes pour la fortifier ou l’attendrir, pour l’aviver ou l’éteindre, et renouveler en nous à la fois l’ordre de l’esprit et celui de la sensibilité. Quand Pénélope, aux premiers accents du mendiant qui passe et demande asile, s’écrie : « Ah ! j’ai cru que c’était celui que j’appelais ! » son exclamation, par les notes successives et montantes qui la composent, forme un accord véritable. Harmonique et mélodique à la fois, elle est ainsi doublement expressive. Ailleurs : « J’ai tissé de mes mains pour le père d’Ulysse ce linceul. » C’est la fameuse et trompeuse broderie faite chaque jour et chaque soir défaite. Et jamais la mélancolique ouvrière ne parle de son ouvrage ou ne s’y applique, sans qu’une « harmonie » encore, purement instrumentale, celle-là, faite de notes égrenées une par une et légères, éveille en nous l’idée et presque la sensation d’un tissu léger également et mystérieux.

Oui, le royaume, ou le règne harmonique est bien celui dans lequel M. Fauré découvrit le plus de choses, et souvent des choses exquises. Pénélope abonde en trouvailles de cette nature, en suites d’accords, de modulations et, comme disent les peintres, en « passages » délicats et délicieux. Je l’aime, cette musique, pour la façon dont, en effet, elle passe, dont elle ne fait que passer. Aux auditeurs, aux lecteurs de la partition, je recommande une page entre autres, entre beaucoup d’autres : le discours d’Eurymaque, un des prétendants, reprochant à la reine l’étrange lenteur de l’ouvrage