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seconde aussi. Les « endroits forts, « dans Pénélope, ne le cèdent point aux passages contraires. Ils y sont moins nombreux, voilà tout. Aussi bien et par la nature même du sujet, ils devaient l’être. On en compte exactement quatre, qui suffisent. C’est d’abord, au premier acte, un monologue d’Ulysse, brusque et brève échappée d’allégresse et d’amour, oh la voix du héros sonne en fanfare, tandis que dans la symphonie éclatent, fous de joie, et se précipitent l’une vers l’autre, les deux thèmes de l’époux et de l’épouse.

Plus admirable encore est la reconnaissance d’Ulysse et des bergers (fin du second acte). Ici la secousse est si forte, que le jour de la répétition générale, nous en fûmes tous ébranlés. L’appel du maître à son vieux serviteur. « Eumée ! Eumée ! » est jeté sur deux notes inattendues et qui percent la nuit. Il se développe en fulgurante apostrophe et quand y répond la tumultueuse acclamation des pâtres, la terre, le ciel et la mer, tout s’illumine, tout retentit. Cela, comme le reste, est rapide ; cela dure quelques instants à peine, mais qu’on ne souhaite pas d’arrêter, car ils n’en sauraient être plus beaux.

La force, avec la brièveté, fait la beauté d’un autre instant encore. C’est, au début du dernier acte, l’entrée d’Ulysse, et l’on dirait aussi bien d’Hercule, la musique se montrant ici, par l’adresse et par la vigueur, également digne de l’un et de l’autre héros. Une fois de plus c’est un musicien ingénieux qui se plaît à laisser fuir et comme filer au loin la tonalité primitive. Mais pour la ressaisir, non plus avec des doigts légers, mais avec une main de fer ; pour fonder, pour bâtir sur un tel rythme, sur de telles harmonies une telle page ; enfin, et plus généralement, pour conférer par endroits une grandeur tragique à la tendre et triste élégie qui fait le sujet de Pénélope ; pour l’entrecouper, en quelque sorte, et de coups aussi retentissants, il faut un grand musicien.

« Et ego... » Dans toute musique de M. Fauré, nous croyons entendre « l’oiseau de nos jeunes années. » Oiseau-prophète, comme celui de Schumann, et qui ne s’est pas trompé. Au printemps de 1871, à l’âge où l’on est écolier, nous habitions, sur les bords de la mer normande, une maison amie et presque paternelle. Avec nous, un musicien d’une trentaine d’années, à la chevelure sombre, aux yeux profonds, en était l’hôte. Il en était aussi l’âme sonore. Une voix de femme chantait ses premières mélodies. Et tant d’autres, qui les ont suivies, même les plus belles, ne les ont point effacées de notre souvenir d’enfant. C’était : les Matelots, la Sérénade toscane, Ici-bas, Au bord de l’eau, celle-ci devenue classique ; enfin et surtout, plus classique