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ou plutôt de la symphonie. Il y avait là quelques-uns des plus beaux moments que la musique de France, en un sujet français, nous ait jamais fait passer. On ne saurait aujourd’hui les oublier sans injustice, ni les rappeler sans orgueil.


Le nom de chanteuse est trop vulgaire, et celui de cantatrice un peu trop solennel pour l’originale et séduisante artiste que nous eûmes récemment le plaisir d’écouter. C’est d’Italie que nous est venue la signorina Geni Sadero. Elle ne souhaitait rien moins, — et même elle en était officiellement chargée, — que de « révéler par le chant l’âme italienne à l’âme française. » Mais sa patrie, qui nous l’envoyait, n’avait pas assez préparé et, comme on dit, d’un mot affreux, « organisé » sa mission populaire et fraternelle. Alors il est arrivé ceci, que la mélodieuse messagère a chanté moins souvent pour des ouvriers, pour des soldats, pour le peuple enfin, que « dans le monde. » Mais le monde lui-même l’a comprise. Elle a su le charmer et l’émouvoir.

L’artiste a choisi comme devise une cigale, avec ces mots : « Canto la luce, je chante la lumière. » Et ses chansons et sa manière de les chanter justifient son emblème. Que dis-je ? sa manière. Elle en a plus d’une, de la plus spirituelle et légère à la plus pathétique. Et même, aussi bien que la lumière, elle chante la nuit. Il nous souvient d’une phrase de M. Maurice Barrès, dans la Colline Inspirée : « Une saga du Nord raconte qu’une devineresse chantait à midi l’air de la nuit. Et si loin que son chant portait, les ténèbres s’établissaient. » Une canzone au moins de la jeune Italienne eut sur nous ce pouvoir. Mais ici, dire « les ténèbres, » serait trop dire : plutôt l’ombre seulement, les nuits de là-bas étant lumineuses à demi. Par une telle nuit, le charretier sicilien chemine. Sur la route blanche de lune, il voit marcher à son côté son ombre, dont il a peur. Pour se rassurer, il chante : « Amour, tu m’as troublé le cerveau. Tu m’as fait oublier mon Pater noster et mon Ave Maria. » Dès le début, une appoggîatura un peu rude, mordant sur une note haute, puis le mode incertain, les mélismes à l’orientale, tout enfin trahit l’origine arabe de la traînante et poignante mélopée. De temps en temps, elle s’arrête. L’homme ne chante plus : il parle. Il parle tout bas, à son petit cheval, son compagnon, son ami. Comme il le caresserait de la main, il le flatte et l’encourage de la voix, d’un mot affectueux, moins que d’un mot, d’un son, à peine un léger claquement de langue, à peine un vague soupir.