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Le chef-d’œuvre, dans le genre tragique, et sur un mode oriental aussi, de ce répertoire populaire, est une complainte de la Vierge, on pourrait dire une Pietà. En Sicile encore, dans le sauvage pays qui s’étend de Girgenti à Caltanisetta, les femmes se rendent à l’office du Vendredi Saint en chantant à peu près ceci : « Montre-toi, Marie, et regarde. Voici ton fils, exténué, sanglant, le corps labouré de coups et le front couronné d’épines. » — Et Marie de répondre : « Hélas ! allez me quérir Jean, afin qu’il vienne et qu’il pleure avec moi son maître et mon enfant. » Il paraît que là-bas, avant de commencer, les chanteuses ont coutume de dire au passant : « Vous donnerez un sou pour la chanson ; mais, si elle vous fait pleurer, vous en donnerez deux. » L’autre jour, plus d’un auditeur, ses yeux en témoignaient assez, eût donné bien davantage.

Avec le don des larmes, cette musique a celui du sourire. Elle abonde en tableaux de mœurs, ou de genre, querelles de ménage, espiègles propos de coquetterie et d’amour. Les paysages non plus n’y sont point rares : chansons de la montagne et de la mer, celles-ci changeantes avec la forme et les dimensions du filet, selon l’effort des bras qui le jettent ou le relèvent. Elles ont leur chanson, les porteuses d’eau de la Pouille aride et les vendangeuses de Sicile. Singulière et belle entre toutes, avec ses tons posés hardiment, à plat, à côté l’un de l’autre, ils ont la leur, les pâtres de Sardaigne, et c’est en l’entonnant, à la manière d’un hymne, qu’ils saluent le lever du jour.

De tant de chants divers, l’interprète se fait diverse elle-même. Après les avoir, presque tous au moins, découverts et recueillis, elle lésa complétés par les harmonies, subtiles ou fortes, que non seulement comportaient, mais exigeaient les singulières mélodies. Il y a plus : avant de les chanter, elle les parle, elle les raconte, et le récit qui les prépare et les commente, n’a pas moins de poésie, ou d’esprit, que le chant. Ainsi l’artiste crée un double ambiente, musical et pittoresque, dont l’œuvre d’art est par elle enveloppée. Et cet ensemble, ou cette combitiazione, est quelque chose de rare et de délicieux.


CAMILLE BELLAIGUE.