Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est clair que l’inconvénient primordial des calendriers actuels est qu’il y a des calendriers. Rien qu’en Europe les peuples ont en usage trois nomenclatures chronologiques différentes, si bien que le jour où parait ce numéro de Revue qui est pour nous le 15 février 1919, s’appelle le 2 février pour les Slaves, donc pour presque une moitié de l’Europe, et le 14 Djoumada IIe, de l’an 1337 pour les musulmans (je ne cite que pour mémoire, car elle n’a nulle part de caractère officiel, la date correspondante du calendrier israélite qui est le 15 Adar de l’an 5679).

Au point de vue des relations internationales, politiques, commerciales, financières, postales, etc., cette situation a les inconvénients les plus graves qui sautent aux yeux. Ils sont analogues à ceux qu’il y avait en France lorsque chaque ville avait son heure locale, lorsque les unités de mesure différaient d’une province à l’autre.

On a unifié l’heure en France à un moment donné, de façon que, au même instant physique, à la même époque, comme disent les astronomes pour qui les mots ont parfois un sens professionnel un peu particulier, toutes les pendules françaises marquassent la même heure... supposé qu’elles fussent bien réglées.

Le plus important n’était pas que toutes les villes de France eussent une heure parfaite, mais qu’elles eussent une heure unique. La meilleure preuve que la perfection, l’exactitude scientifique de l’heure officielle n’était que d’une importance secondaire, dans ce domaine où il y a beaucoup de conventionnel, c’est qu’on a changé récemment à diverses reprises l’heure officielle sans grand inconvénient. Avant tout, il importait que l’heure fût unique.

Pour le calendrier qui n’est qu’une sorte de classification, de langage, il en est de même : il faut avant tout que tous les hommes parlent la même langue, même si celle-ci n’est pas parfaite.

C’est ce qu’ont eu le tort d’oublier certaines personnes qui, dans le passé et surtout en Russie, se sont opposées à l’unification des calendriers, en prétendant que le julien n’était après tout pas beaucoup plus mauvais que l’autre et que les Slaves n’adopteraient un nouveau calendrier que s’il supprimait tous les inconvénients du grégorien lui-même. C’était là en vérité de la surenchère, c’est-à-dire cette sorte d’utopisme ultra-révolutionnaire qui, sous prétexte de ne vouloir que des résultats idéaux, n’en obtient jamais aucun. « Tout ou rien » est une très mauvaise devise, même en matière chronologique, car avec elle, comme évidemment dans les choses humaines, on n’a jamais tout, il faudrait se résigner à n’avoir toujours rien. Mieux vaut