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avoir établi que, même sur ce dernier point, les atomistes grecs ont raison contre les chimistes du xixe siècle.

Mais sur le premier point, — structure granulaire et discontinuité de la matière, — les expériences modernes ont établi maintenant d’une manière irréfutable la justesse des intuitions véritablement géniales de Démocrite et de Leucippe. C’est à ce premier point que nous nous attacherons aujourd’hui et nous verrons les faits les plus étonnants, les chiffres les plus incroyables former une chaîne qui lie inébranlablement à la réalité cette lumineuse conception du cerveau grec. Bien plus, nous verrons plus tard que ce n’est pas seulement la matière qui est granulaire et discontinue, mais aussi son attribut principal, l’énergie, et aussi très probablement et, si invraisemblable que cela paraisse, le temps lui-même, ce symbole poétique et éternel de la fluidité continue des choses.

Chose curieuse, l’atomisme de Démocrite et de Leucippe a été dédaigné par d’autres philosophes grecs comme une image grossièrement matérialiste, et combattue violemment par l’école des philosophes idéalistes d’Athènes, de Platon à Aristote. C’est même la principale raison qui a permis à Berthelot de faire grief à ceux-ci d’avoir, par leurs doctrines, empêché longtemps le progrès de la chimie.

À ce propos je voudrais faire une remarque d’ensemble s’appliquant à toutes les controverses métaphysiques qui peuvent surgir, et surgissent malheureusement depuis des siècles, au seuil des discussions sur la matière ; cette remarque si simple et si évidente à priori comme on va voir, je suis surpris qu’elle n’ait point épargné à tant de philosophes pourtant renommés, des polémiques futiles.

Tout d’abord quand bien même on aurait réduit tous les corps sensibles, — les vivants et les autre ?, — à de la matière inorganique, ou comme on dit absurdement à de la matière inanimée, qu’est-ce que cela prouverait ? La matière minérale est si peu inanimée que — nous le verrons au cours de cette étude — la physique moderne nous la montre animée (j’emploie le mot à dessein) de mouvements intimes d’une intensité et d’une vitesse prodigieuses. Il y a donc, dans les particules ultimes de la matière, des phénomènes qui sont tout le contraire de ce que l’on appelle, — au sens vulgaire du mot, — l’inertie, l’immobilité, la mort. Une vie prodigieuse, incroyable, sensible à mille influences comme on verra par des chiffres, règne au sein de ce qu’on voulait nous faire passer pour une substance déserte, immobile, léthargique. Et alors, quand tout ce qu’on voit serait fait de cette substance, non seulement il y aurait encore tout ce qu’on ne voit pas,