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exactes de cette précieuse constante universelle de la matière.

Quand on met en regard les nombres obtenus pour la valeur de N par toutes ces méthodes aussi différentes et qui sont tous compris entre 60.1022 et 75.1022, on est saisi d’admiration devant ce qui serait un miracle de concordance si ce n’était la démonstration et la preuve la plus évidente de la réalité moléculaire. Comme on l’a dit déjà, qu’on retrouve la même grandeur, d’abord à l’intérieur de chacune de ces méthodes en variant les conditions expérimentales, ensuite par des méthodes aussi disparales et indépendantes, cela donne, à l’existence ainsi précisée des molécules, autant de certitude qu’en peut avoir une réalité physique.

Comme l’a dit naguère Arrhénius, « il ne semble plus possible de douter que la théorie moléculaire entrevue par les philosophes de l’antiquité, un Leucippe, un Démocrite, ait atteint la vérité, tout au moins dans l’essentiel. »

Et maintenant essayons de concrétiser un peu le résultat auquel nos sommes parvenus.

Dans l’air que nous respirons, chacune des molécules, si l’on s’en rapporte aux nombres obtenus, se meut avec la vitesse d’une balle de fusil, parcourt en ligne droite, entre deux chocs contre une autre molécule, environ un dix millième de millimètre et par suite est déviée de sa course à peu prés 5 milliards de fois par seconde. Il en faudrait aligner 3 millions bout à bout pour faire une longueur totale d’un millimètre. Il en faudrait réunir 20 000 milliards pour faire un millionième de milligramme.

Pour m’exprimer autrement, dans chaque centimètre cube de l’air que nous respirons (ce qui représente moins que le volume d’un dé à coudre) il y a 30 milliards de milliards de molécules. Dans chacune des petites bulles qui frissonnent à la surface d’une coupe de champagne, il y a donc un milliard de fois plus de molécules que toute la Voie Lactée ne contient d’étoiles.

Devant ces choses, on pense à Pascal dont le génial parallèle entre l’infiniment grand l’infiniment petit est au-dessous de la vérité. On pense aussi à Racine… et même à Baudelaire, et on a envie de crier aux esprits chagrins et lassés par « l’ennui fruit de la morne incuriosité » qui trouvent que notre époque est plate et dénuée d’attraits :

« Et quel temps fut jamais plus fertile en miracles ? »


Charles Nordmann.