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et que M. de Féraudy commente un film, à mesure qu’il se déroule sur l’écran lumineux.


La nouvelle pièce de M. Sacha Guitry est pareille à toutes les autres pièces de M. Sacha Guitry. Il y a de tout là dedans, jusqu’à des passages de vraie comédie, des boutades qui amusent, des plaisanteries qui font long feu, de grosses bouffonneries, jetées pêle-mêle et au petit bonheur, et de la drôlerie, et de la fantaisie, et du décousu plus que tout ce que dessus.

Au premier acte, Bellanger père, en visite chez Bellanger fils, se livre à un étalage d’égoïsme féroce et de grossier épicurisme, à faire rougir ses propres cheveux blancs. Bellanger fils est gêné par ce bavardage sénile : il tient, lui, pour le devoir. Hélas ! au même moment, il apprend, par un coup de téléphone, que sa femme le quitte. — Au second acte, vingt ans après : le vieux fêtard a rendu sa vilaine âme à Dieu, et Bellanger fils est devenu Bellanger père : en sorte que son rôle, joué à l’acte précédent par Guitry fils, l’est maintenant par Guitry père. Pendant ces longues années, il s’est consacré à l’éducation de l’enfant que lui a laissé la femme infidèle ; il lui a surtout inculqué l’horreur du mariage. Maintenant sa tâche est accomplie et il va pouvoir prendre un peu de bon temps. Ici une scène tellement forcée qu’on se demande comment un auteur si averti n’a pas senti qu’il dépassait la mesure. La femme coupable, après vingt années d’absence, réclame sa place au foyer, car, dit-elle, si elle a commis une faute, la continuité même de cette faute et l’exemple qu’elle a donné de la constance dans l’inconstance lui font une vertu. — Au troisième acte, Bellanger entre résolument dans la carrière où l’appelle l’exemple de son père : il a reconnu que son père avait raison. Ses domestiques le croient fou et font venir le médecin. Et cette fois la drôlerie, côtoie la farce.

Le premier acte, brillant et gai, faisait espérer une comédie. Les deux autres sont beaucoup plus faibles. Quant à la « morale » de la pièce, je crois qu’on ne saurait en discuter sans un peu de naïveté. Au moins l’auteur n’a-t-il pas essayé de nous donner le change : à nous de prendre pour ce qu’il vaut ce cynisme ingénu.

Est-il besoin de dire que la pièce est admirablement jouée par les deux Guitry ?


RENÉ DOUMIC.