Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/423

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Aïcha ne lève plus la tête du petit matelas de feuilles de maïs où elle s’est couchée depuis le jour de la trahison. Sa vieille mère, la voyant pleurer en balançant le front, refuser toute nourriture, se déchirer les joues en s’aidant de berceuses funèbres, ne sait où donner de sa vie. Elle a cru d’abord que sa fille était frappée par les génies de la fontaine. Les femmes de la tribu l’auront irritée encore avec leur mépris, la pauvre petite aura échauffé son sang et les djinns des eaux supportent si mal ceux dont le sang s’échauffe autour de leur domaine !… Alors, elle s’est mise à brûler de l’encens au chevet d’Aïcha entre les heures bine elougate, c’est-à-dire vers le midi, au moment où ces démons fantasques sont le plus disposés à la clémence… Elle a enfoui un œuf sous de la braise, et prononcé le nom de sa fille jusqu’à ce que l’œuf ait éclaté comme de la poudre…. Elle a fait fondre du plomb, qu’elle a versé ensuite dans un mortier de cuivre rempli d’eau…

— Mère, a dit Aïcha de sa voix éteinte, toute ta fatigue est inutile. Moi je vais sombrer et moi je vais mourir…

— Que Dieu te garde, ma fille !

En même temps, Messaouda passe et repasse sa langue sept fois d’une tempe à l’autre sur toute la longueur du front brûlant de la malade.

— Allah, mon enfant, ne frappe pas avec deux bâtons… Il aura pitié de la jeunesse et de ta solitude… Tu grandiras, tu deviendras une femme… Un fils de gens t’épousera… Nous te ferons une belle noce et tu crèveras les yeux à tous ceux qui ne nous aiment pas…

À ce mot de noce, Aïcha porte ses deux index à ses oreilles, et se met à pousser les ululements de la mort :

Bou ! Bou ! Bou ! Sur ma tête !

Messaouda l’écoute, le cœur plein d’épouvante. Là-haut, la grande noce résonne de ses mille bruits argentins…

Et Messaouda ne sait que croire…

Elle tombe à genoux. Sa voix se fait suppliante :

— Ma fille… veux-tu que je te prépare un petit œuf sous la cendre ?… Une semouillette au beurre ?… Ma fille, tu n’as pas délayé ta salive depuis trois jours…