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paraît bien que Mme Atkins vit clair dans l’intrigue qui ruinait ses espoirs sans pourtant l’éveiller tout à fait de son rêve, puisqu’elle notait : « J’étais très opposée de mettre un autre enfant à la place du Roi… J’observais à mes amis que cela pourrait avoir une suite fâcheuse et que ceux qui gouvernaient alors, après avoir touché l’argent, enlèveraient l’auguste enfant et diraient après qu’il n’est jamais sorti du Temple. » Et plus tard encore, bien persuadée que le fils de Louis XVI n’est plus dans sa prison, elle dira tristement, songeant à tous ses sacrifices : « Un pouvoir supérieur au mien s’en était emparé. » Avait-elle alors deviné la machination dont elle croyait Barras le bénéficiaire, tandis qu’il n’était, lui aussi, qu’une dupe ? Lui du moins portait sa déconvenue avec une crânerie superbe et audacieusement jouée : il avait été tenu au courant, par Laurent, de toutes les tentatives des agents de Mme Atkins ; bien sûr que ceux-ci n’enlèveraient pas du Temple le Dauphin, qui n’y était plus depuis longtemps, il s’amusait à les laisser faire : « On a offert, disait-il, une somme d’argent assez forte à Laurent, qui l’a, d’ailleurs, refusée ; et cette somme lui fut offerte lorsque l’enfant était déjà sorti de sa prison. »

Pourtant quelque chose dut s’ébruiter : soit que trop souvent mise à l’épreuve et toujours déçue, la curiosité se fût, à la longue, lassée ; soit que le silence imposé sur ce petit Roi qu’on ne voyait jamais et auquel jamais non plus les gazettes ne faisaient allusion, eût détourné de lui l’attention, il venait tant de monde au Temple, — deux cent quarante soldats y montaient quotidiennement la garde, — et Laurent, payé 6 000 livres par an pour vivre dans une apparente oisiveté, suscitait tant de jaloux, que, dans le nombre, il se trouva quelqu’un pour s’aviser qu’il se passait d’étranges choses dans cette prison muette. Le 28 octobre 1794, deux lettres urgentes de la Commission administrative de la police de Paris parviennent au Comité de sûreté générale : on ignore leur contenu, car, jusqu’à présent, malgré d’activés recherches, elles n’ont pas été retrouvées. Il faut que la chose soit d’importance, car le Comité dépêche, en pleine nuit, deux de ses membres, Reverchon et Goupilleau de Fontenay, pour « se rendre à l’instant au Temple, vérifier et constater la présence des deux prisonniers… et prendre les mesures que la sûreté publique paraîtra exiger. » Comment les reçut Laurent ? Les mit-il en présence de son