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Dimanche [19 juillet].

Bonjour, mon loup chéri ; hélas ! hier je n’ai pas fait une panse d’a. Le restaurateur de tableaux est venu. Je ne voulais pas que mes tableaux voyageassent encore, et il a travaillé [ici] toute la journée. Tu comprends que je suis resté tout le temps dans l’anxiété, à le voir faire. C’est un élève de David, de Gros, de Girodet : mais il n’a jamais pu être peintre. C’est un petit vieillard sec et spirituel, qui a servi dans les armées impériales ; les armes ont nui à sa palette, et il s’est mis bravement débarbouilleur de tableaux. Il a une grande indépendance d’idées et de caractère, et une immense fierté d’artiste. On en fait tout ce qu’on veut avec des égards. Il m’a appris qu’il n’allait jamais chez personne et qu’une tonne d’or ne l’y déciderait pas ; mais qu’il était tellement à genoux devant les gens de génie, qu’il faisait tout ce qu’ils voulaient, et je m’en suis fait un conseil futur, plus sûr que Chenavard, qui pourrait me jouer quelque tour ; il n’est pas venu depuis quinze jours. Mon bon petit homme avait apporté tous ses ustensiles et ingrédients. Voici ce qui a eu lieu. Tu sais ce que Georges prophétisait pour le Bronzino ? Eh bien ! c’est arrivé pour le Chevalier de Malte. Menghetti, pour cacher des éraillures dues à quelque coup de balai, avait enfumé le tableau. En ôtant l’enfumure de Menghetti, nous avons trouvé la crasse des cierges et de l’église, et, en l’enlevant, il a reparu le chef-d’œuvre le plus extraordinaire, une peinture fraîche comme si c’était peint d’hier. Ça n’avait pas été touché. C’est sublime et sans prix. Tu ne reconnaîtras pas cela. C’est aussi beau que tout ce que nous connaissons de plus célèbre. On ne se figure pas les mains. Tout est au vrai ton. Le vieux petit homme a dit : « C’est le génie de la prière ! » Il est de l’avis de Georges que c’est un Flamand élève de Raphaël. C’est plus beau, plus fort que Sébastien del Piombo et que Picciolante, car il connaît tout, ce brave vieux. Il m’a dit que [l’autre] Georges est un tel fripon qu’il sera renvoyé du Musée, et il m’a confirmé tout ce que nous en pensions.

Quant au Bronzino, en l’attaquant, il l’a regardé comme fini. Tout est malade, et il a dit que c’était un beau Bronzino, mais qu’il fallait le laisser comme il était. Le derrière de la tête a été repeint ; il n’y a pas de teintes roses dessous le