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prouvé qu’il était bien le plus habile, comme on me l’avait dit. C’est inouï quel art il a ! C’est bien dangereux pour les acheteurs ! Les frelateurs romains et vénitiens sont des enfants [à côté de lui].

Assez là-dessus. Il faut réparer le samedi perdu. Je vais travailler douze heures aujourd’hui. Allons, ma Linette adorée, je vais le mettre cette lettre à la poste. Ah ! tu recevras tout un roman de Ribou, par un gros envoi de journaux, [des numéros] du Constitutionnel. C’est l’exemplaire que j’ai lu et que je le fais renvoyer. J’ai payé la poste, mais tu payeras celle du parcours étranger. C’est vingt [numéros de] journaux anciens que tu recevras.

Non, tu ne te figures pas ce que c’est que l’habit de soie du Chevalier de M[alte] ! » Je viens de le revoir ; c’est sublime. Il y a un homme dedans, et le jour se joue dans les plis. C’est d’une patience hollandaise et c’est le neuf de la soie, c’en est le brillant ! La crasse de l’église l’a conservé. Cela sort de l’atelier ; c’est certes aussi beau que ce que j’ai vu de beau de Raphaël, avec quelque chose de plus étudié. Je ne te parle pas des mains. Le petit vieux a dit : « C’est un poème ! » Et c’est vrai. Sais-tu pourquoi j’aime tant ce vieux ? C’est qu’il a répété tout ce que tu as dit du Chevalier de Malte ! Comment travailler en entendant ce vieil artiste le commenter ?

Adieu, loup chéri, ma chère petite fille grondeuse ; oh ! porte-toi bien ! Pas de ces tristesses qui agissent sur moi. Crois à un bel et bon avenir. Sois tranquille ; ton loup ne fera pas ce que tu appelles des folies. Toutes ses folies sont faites. C’est toi qui es sa folie !

Le petit vieux m’a parlé d’un superbe appartement rue Saint-Louis, au Marais [tu sais] là où tu as vu celle chapelle de Delacroix ; j’irai le voir. C’est deux mille francs par an. Mais, [une supposition,] je le prendrais, ce serait moins cher que la maison Potier. Vois comme je suis sage !

Allons, trouve ici ces mille fleurs de tendresse qui accompagnent les fleurs que je le mets dans ces feuillets. Ne l’assombris pas ; pense que mon âme l’enveloppe, que je te tiens toujours comme sur le pont du Neckar [à Heidelberg ! ]… Quelle soirée ! oh ! ma bonne Line !

Allons, adieu ; soigne-toi bien et pense à notre bonheur futur. Mille becquetées à mon m[inou] adoré, cette rose de parterres célestes ! Adieu. J’ai baisé toutes les fleurs !