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devons reprocher ces incohérences ; elles sont la conséquence fatale des pratiques suivies.

De la conférence qui s’est, d’abord, réunie pour préparer la paix et sur la composition de laquelle il y aurait déjà bien des réserves à faire, est né, un beau jour, comme par un phénomène de génération spontanée, un conseil qui a pris le titre imposant de Conseil suprême et qui s’est chargé de régler le sort du monde. Il comprenait les plus grands hommes d’État d’Europe et d’Amérique ; mais, en se rencontrant tous les jours dans cette absorbante collaboration, les chefs de gouvernement étaient condamnés à perdre peu à peu le contact avec leurs Cabinets respectifs, avec leurs Parlements et avec leurs nations. Alors que, chez les peuples vainqueurs, aussi bien que chez, les peuples vaincus, se posaient avec urgence une multitude de problèmes vitaux et que tout était à réorganiser sans retard dans les armées, dans les administrations, dans les finances, dans l’ordre social, les membres du Conseil suprême s’isolaient, de plus en plus, dans leur œuvre gigantesque et leurs pays, livrés à eux-mêmes, commençaient à ne plus se sentir gouvernés.

Comme pour augmenter encore une besogne écrasante, ce Conseil décidait, non seulement sur les affaires où étaient intéressées les Puissances représentées, mais sur tous les incidents qui survenaient dans la préparation de la paix universelle et il prenait la fâcheuse habitude de régenter, sur un ton parfois très choquant, les nations qu’il qualifiait de petites et qui, pour la plupart, étaient de fidèles amies de la France. La Présidence du Conseil suprême ayant été laissée au chef du gouvernement français, c’est nous-mêmes qui semblions traiter avec cette désinvolture cavalière les États les plus rapprochés de nous par leurs traditions et par leurs sentiments.

Un jour vint où le Conseil suprême perdit, par l’éloignement, puis par la maladie, l’illustre représentant des États-Unis. Il continua cependant son travail avec un zèle infatigable, en croyant pouvoir désormais se passer de la présence de l’Amérique, et c’est seulement la note de M. Wilson, en date du 14 février dernier, qui a rappelé aux fractions survivantes du Conseil que le membre absent n’entendait pas être négligé.

Dans l’intervalle, M. Lloyd George, qui se plaignait, non sans raison, d’être aussi souvent à Paris qu’à Londres et qui désirait, d’ailleurs, ramener sous la main du gouvernement britannique les négociations relatives aux affaires orientales, avait employé son grand talent de séduction pour tâcher de faire transférer en