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M. Adolphe Boschot a raconté la vie de Berlioz en trois volumes d’abord et qu’il vient de résumer en un tome. Il a réuni une quantité admirable de documents, des lettres par centaines. Puis il a pris la bonne méthode, qui est, à proprement parler, de n’en avoir aucune. Entendons-nous : il a une méthode, et rigoureuse, dans ses recherches, dans la critique des papiers qu’il a trouvés ; autant dire qu’il n’épargne ni son temps ni sa peine et qu’il a du soin. Mais, après cela, il procède avec complaisance et garde bien de soumettre la peinture de son héros à une idée préconçue, à une théorie de psychologue, à une doctrine de philosophe ou d’historien. Certes, il interprète les documents : il ne les oblige pas à proclamer ce qui lui chante ; il ne leur commande pas, il leur obéit. Ainsi, le personnage naît ou se ranime, et se développe, au gré de sa vérité, au gré de ce qui reste de sa vérité, comme vivait aussi Berlioz au gré des journées. Je ne crois pas qu’il y ait un autre moyen de donner un portrait fidèle : un bon peintre de portraits a premièrement renoncé à tout esprit de système. Il préfère son modèle à une idéologie et le préfère à lui-même aussi. Ou, s’il ne le préfère pas, il aura donné l’image d’un système ou une image de soi.

Dans la préface de son tome premier, M. Boschot s’en prend à M. Taine. Il ne le fait pas sans nulle injustice. Quand il accuse M. Taine de sacrifier au souci de la « belle phrase » l’exacte vérité, il a tort. Les phrases de cet écrivain sont belles, mais ne sont pas antérieures à l’idée et n’en sont pas différentes. Ce n’est pas à la belle phrase, mais à l’idée, que M. Taine sacrifie l’humble réalité. Il n’est pas un rhéteur ; il a un système et range la réalité, je l’avoue, dans les lignes de son système. Et qu’est-ce qu’un romantique ? M. Taine le définit : « le plébéien de race neuve, richement doué de facultés et de désirs, qui, pour la première fois, arrivé aux sommets du monde, étale avec fracas le trouble de son esprit et de son cœur. » Cette formule irrite M. Boschot : « Tout y est faux ! » déclare-t-il. Et il demande si Chateaubriand, Lamartine, Musset, Balzac, Vigny, Hugo, sont des plébéiens ; il note que Delacroix était « fils d’un préfet, » Théophile Gautier, Gérard de Nerval « fils de bons bourgeois ayant pignon sur rue. » Et Berlioz ? « Ses ascendants comptaient depuis longtemps parmi les notables les plus riches du pays ; ils faisaient valoir leurs biens ; ils exerçaient des professions libérales, et le père de notre romantique, le docteur Louis Berlioz, fut nommé maire par un des préfets les plus ultras de la terreur blanche. » Donc, un romantique n’est pas un plébéien. « Arrivé aux