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debourg sont arrivés jusqu’au village et au fort de Douaumont qu’ils ont enlevé d’assaut. »

Cette transposition de la vérité était un peu hardie ; dans une guerre de peuples, où l’opinion jouait un rôle encore pus important que par le passé, elle servait certainement la cause allemande en donnant à ce nom de Douaumont, jusqu’alors inconnu, la valeur d’un symbole : la possession en apparaissait comme l’enjeu de la bataille engagée. Mais quand, relevant le défi, les Français reprendront Douaumont, le prix que les Allemands ont donné à sa possession mesurera leur défaite.

Le général Joffre mande à Chantilly le général Pétain, qui dirigeait à l’arrière l’instruction des divisions mises successivement au repos : « Ça ne va pas mal, » lui dit-il dès l’abord avec son robuste optimisme, et il l’envoie prendre le commandement de l’armée en formation sur la rive gauche de la Meuse, qui devra intervenir au moment utile. Le général de Castelnau pensa que cette heure avait sonné dès que le général Pétain fut arrivé sur les lieux et lui conféra le commandement, car les événements dépassaient le cadre de la « région fortifiée de Verdun, » dont l’état-major, d’ailleurs, n’était pas outillé pour diriger des opérations de l’importance présente.

Renseigné sommairement sur les opérations du 24 et du 25, le général Joffre télégraphie dans la soirée du 25 aux généraux de Castelnau, Pétain et Herr : « J’ai donné hier, 24 février, l’ordre de résister sur la rive droite de la Meuse, au Nord de Verdun. Tout chef qui, dans les circonstances actuelles, donnera un ordre de retraite sera traduit en conseil de guerre. » Il avait paru au général en chef que certains replis avaient été prématurément ordonnés ; sans condamner les auteurs de ces ordres avant de les avoir entendus, il assumait virilement la responsabilité de la résistance, avec le risque des pertes en matériel et en prisonniers sur la rive droite de la Meuse, et, par un ordre formel, il abolissait toute velléité de retraite. Certes la gloire est grande de ceux qui ont exécuté cet ordre, et qui, par leur science militaire, leur esprit d’organisation, leur connaissance de la troupe et leur action personnelle, ont gagné cette grande bataille. Mais l’acteur principal, dont le rôle est trop peu connu, qui, de la première scène jusqu’au dernier acte de ce grand drame, n’a cessé de les décharger du lourd fardeau des responsabilités en cas de revers, c’est le général Joffre.