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saints, et ils portent sur eux son effigie en plomb ou en tout autre métal, ainsi qu’il est accoutumé de faire pour les saints canonisés par l’Église, et ils prêchent publiquement que c’est l’envoyée de Dieu, qu’elle est moins une femme qu’un ange.


Les juges, de Rouen seront portés, par leur acharnement même, à ramasser les pièces à conviction ; et parmi celles que dans cet article ils allèguent, quelques-unes encore existent pour nous. Ils parlent d’images de Jeanne ; et de fait, sur un tableau religieux exécuté du temps même de Jeanne pour quelque chapelle et représentant la Vierge et l’Enfant, on voyait saint Michel pesant une âme, et Jeanne tenant d’une main son étendard, de l’autre un écu armorié, et portant un nimbe. Les juges parleront aussi de médailles : et de fait, le musée de Cluny et une collection privée possèdent deux médailles de l’an 1430 : l’une porte sur une de ses faces les armes de Jeanne, et l’autre, avec ses armes, exhibe aussi son buste. Les juges, enfin, feront un grief à Jeanne des liturgies qui pour elles se célébraient dans les églises ; et de ces liturgies, quelques textes depuis lors nous ont été révélés. Une antienne où l’on priait le Seigneurie briser la puissance des Anglais et de les faire trembler jusqu’au fond de leur être précédait une oraison dans laquelle le prêtre disait à Dieu : « Vous qui avez délivré votre peuple par la main d’une femme, faites que Charles notre roi lève par vous un bras victorieux[1]. »

Pour fêter les victoires de Jeanne, on fit des processions à Carcassonne, et jusqu’à Brignoles ; dans ces deux dernières villes, elles se renouvelèrent, chaque année, durant tout l’ancien régime[2]. Le ponctuel comptable Guillaume Lambert, dans les registres municipaux de Périgueux, notait, le 13 décembre 1429, la dépense de deux cierges et de deux sols d’honoraires, faite par la ville pour une messe chantée, parce qu’un frère prêcheur, messire Hélie Bodant, « était venu dans cette ville et prêchait à tout le peuple les grands miracles accomplis en France par l’intervention d’une Pucelle[3]. » Sur ce même

  1. Lanery d’Arc, Le Culte de Jeanne d’Arc au quinzième siècle (Orléans, 1887). — Lecoy de la Marche, A la gloire de Jeanne d’Arc (Paris, 1895).
  2. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, IV, p. 400-401 et 408.
  3. Michel Hardy, La mission de Jeanne d’Arc précitée à Périgueux en 1429 (Périgueux, 1887). — Chapotin, La guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc et les Dominicains, p. 73-74 (Paris, 1889).