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sujet, les Limousins, en 1430, entendaient prêcher un émigré normand, maître Robert Masselin, qui les exhortait « à la dilection du roi et de la Pucelle ; » et lorsque maitre Masselin, coupable d’avoir fabriqué deux bulles pontificales, eut un urgent besoin de la clémence royale, son avocat Jean Barbin, — celui-là même qui déposera sur Jeanne au procès de réhabilitation, — rappelait à la décharge de Masselin ce « notable sermon[1]. »


V. — DU SERVICE DE FRANCE AU SERVICE DE CHRÉTIENTÉ : L’ATTENTE D’UN « PLUS HAUT FAIT »

Au pied des chaires, au pied des autels, le peuple chrétien s’imprégnait de cette idée, exprimée par Jeanne elle-même au Duc de Bourgogne : « Ceux qui font la guerre au saint royaume de France font la guerre au roi Jésus. » On comprenait la précision juridique que Jeanne mettait dans ces paroles, on sentait que le droit qu’avait Jésus d’investir Charles de ce royaume était insulté par l’Anglais. Mais Jeanne, d’autre part, se retournant vers les Anglais, leur écrivait : « Si vous faites raison au Roi de France, encore pourrez venir en sa compagnie, là où les Français feront le plus beau fait qui jamais fut fait pour la chrétienté. » Elle rêvait d’un Charles VII menant les Français à la croisade, et puis, en même temps qu’eux, les Anglais. Et ce que Jeanne rêvait, déjà certaines imaginations chrétiennes l’entrevoyaient comme prochain.

« C’est le moindre de son effort, écrivait Christine de Pisan, de détruire l’anglaiserie :


Car elle a d’ailleurs plus haut fait,
C’est que la foi ne soit périe. »


On dirait même que Christine l’acheminait d’ores et déjà vers deux croisades.

Celle de Palestine, naturellement. Les marchands vénitiens écrivaient à leurs correspondants que Jeanne avait promis à Charles la conquête de la Terre Sainte, et que pendant un ou deux ans, les Français et les Anglais, avec leurs seigneurs,

  1. Ant. Thomas, Un émigré normand au temps de Jeanne d’Arc, lecture faite à la séance publique de l’Institut.