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en terre battue, et la vie naît là où quelques années auparavant on entendait seulement l’appel strident des courlis. Mais, tous ces travaux d’entretien ou d’endiguage nécessitent une nombreuse main-d’œuvre.


LE FELLAH

Cette main-d’œuvre providentielle n’a jamais fait défaut à l’Egypte. Nous la retrouvons toujours aussi soumise et aussi laborieuse qu’au temps où elle construisait les pyramides. Rien n’a changé en apparence dans la terre d’Egypte. Il est stupéfiant d’y constater cette permanence des formes ; les navires, les instruments aratoires, les animaux, ne se sont point modifiés ; on y rencontre encore des buffles aux allures antédiluviennes, et les vautours que les premiers habitants avaient divinisés promènent encore dans le ciel le vol paresseux de leurs ailes gris d’argent. Le fellah, surtout, n’a point évolué. On le voit aujourd’hui dans les champs tel qu’il est dessiné sur les bas-reliefs des temples écroulés.

Ce fellah, qui n’a pas reculé en l’honneur de ses rois devant l’édification de colossaux hypogées, a toujours fait la fortune de l’Egypte. Du matin au soir, il est courbé sur la glèbe. Il semble que son travail opiniâtre ne doive jamais lui profiter ; il enfouit ses économies dans les profondeurs du sol meuble, comme dans le tonneau des Danaïdes, sans jamais en retirer en fin de compte un profit définitif. La terre privilégiée et ingrate reprend périodiquement à l’agriculteur ce qu’elle lui avait si abondamment donné. Les sept vaches maigres succèdent aux sept vaches grasses. Malgré le labeur accumulé des siècles, le fellah n’a point perfectionné son habitation. Ses villages sont aussi malpropres et aussi peu confortables. Peu lui importe ! il ne cultive pas la terre pour le profit qu’il en retire, mais par amour pour elle. C’est un rite sacré, une communion de l’homme et du limon. Et c’est cet amour de la terre qui lui a permis de résister à toutes les invasions. Les flots grec, romain, arabe et turc ne l’ont point submergé ; qu’il ait été païen, chrétien ou musulman, il a conservé ses caractères ethniques, son endurance, sa patience et sa sobriété.

Toutefois, sa principale force est sa faculté d’accroissement.