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ne l’est pas par quelques oripeaux de phraséologie noble qui traînent dans ses vers, ni par quelques répliques de modèles trop connus. Il l’est par quelque chose d’essentiel et de profond.

J’ai dit tout à l’heure qu’Elvire n’était pas Mme Charles, que l’amant d’Elvire n’était pas le jeune fils de hobereaux bourguignons qui mâchait son frein dans l’ennui d’une province, faisant au jour le jour des dettes et des vers. J’ai dit que les Méditations nous menaient bien loin de la réalité, et qu’il n’y fallait pas chercher d’histoire, ni de fait divers. Tout y est idéalisé, tout y est construit, selon la portée d’un esprit et le rêve d’un cœur, pour correspondre à ce qu’une époque croit être la vérité sentimentale et la beauté morale. Elvire n’est pas plus individuelle, pas moins universelle, que Monime, Atalide ou Esther. Elle est l’idéal féminin de Lamartine et de la Restauration, comme les autres sont l’idéal féminin de Racine et du siècle de Louis XIV.

Il n’y a pas d’analyse psychologique chez Lamartine ; mais il faut être aveugle pour ne pas voir qu’il y a de la psychologie chez lui, tout autant que chez certains classiques. Ce n’est plus la psychologie analytique et descriptive des moralistes, ni la psychologie dynamique, enchaînée, et productive d’action des auteurs dramatiques. Mais c’est la notation claire et synthétique d’états sentimentaux saisis en leur mouvement, traduits en leur couleur, définis par leur source et par leur but. Pour ne pas être décomposées en leurs éléments ni réduites en séries logiques, les affections et passions humaines ne se font pas moins connaître en leur essence et en leurs propriétés. Le poète n’en démonte pas le mécanisme, il en fait goûter la saveur et la qualité. Le lyrisme des Méditations contient une psychologie qui n’est pas celle des classiques, mais qui est tout de même une psychologie. Chaque poème est un document sur l’homme, et beaucoup plus sur l’homme universel que sur un individu singulier.

Ainsi quelques-unes des grandes caractéristiques de notre classicisme se retrouvent dans le premier chef-d’œuvre de Lamartine : la signification psychologique, la généralité, la valeur humaine.

D’autre part, il est bien certain que beaucoup de caractères des œuvres classiques disparaissent, ou s’affaiblissent, ou ne subsistent plus que comme des survivances inertes. Depuis