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cette maison de famille pour filles de condition. En 1660, l’abbesse demande à Mgr Bédacier d’en affranchir complètement l’abbaye ; sur son refus, elle s’en affranchit elle-même. Chaque jour son carrosse à quatre chevaux la mène soit en ville, soit dans les maisons de plaisance que l’abbaye possède aux environs de Metz. Si ses religieuses ne l’imitent pas toutes, un intérieur égayé les console ; le monastère s’ouvre à tout venant. Les gentilshommes, les officiers, les musiciens, les peintres y entrent et parfois n’en sortent pas aussitôt. Un peintre y resta quatre mois à faire le portrait de Louise et à décorer l’abbaye de peintures profanes. Tous les « ébattements » du siècle sont admis : musique, danses, jeux, soupers, travestissements. A un carnaval on put rencontrer dans les rues de Metz une « abbesse en grand costume, » masquée : c’était le portier du couvent, — tandis que l’abbesse réelle, Louise de Foix s’y promenait en « femme du monde, » et plusieurs religieuses en « militaires. » Pour payer les frais, non seulement on abattait les bois du couvent, mais on vendait les cloches, les ornements, les châsses, — « ouvertes, sur son ordre, par un menuisier huguenot ; » — on faisait même argent des reliques, voire d’une « Sainte Épine. » Ce n’était plus Thélème, c’était le sac d’un monastère au temps de Charles IX[1].

Devant ces bacchanales et ce pillage, les supérieurs de la Congrégation bénédictine de Saint-Vannes, de qui dépendait spirituellement le monastère, — l’évêque suffragant de Metz, Bédacier, dont nous avons déjà vu le pouvoir discuté même par les chanoines séculiers, — gémissaient ou menaçaient en vain. Contre le procureur général bénédictin, l’abbesse s’adressait à l’évêque, contre l’évêque au Pape, de qui seul elle prétendait, en ce cas-là, relever. En 1662, l’évêque et le procureur bénédictin se décidèrent l’un et l’autre, — et sans doute ils n’en obtinrent pas sans peine de la Cour la permission, — à en appeler au Saint-Siège. Par le bref d’août 1662, Alexandre VII permit la nomination de deux commissaires apostoliques pris dans le Chapitre de Metz : le doyen Jean Royer, l’ami serviable

  1. Les détails recueillis à Metz sur cette affaire avant 1855, par Floquet dans les Archives départementales de la Moselle, et consignés par lui dans le tome II de ses Études sur Bossuet, sont complétés ici par les notes prises aux mêmes sources par le pasteur Othon Cuvier, notes que M. N. Weiss a bien voulu me communiquer à la Bibliothèque de la Société historique du Protestantisme français. Il semblerait d’après ces notes que ces déprédations durèrent jusqu’en 1668.